A
ugustin était là le jour où sa grand-mère est décédée. Il était là, lorsque cette femme de caractère a rendu son dernier souffle. Elle dirigeait l'exploitation vinicole d'une main de fer mais elle était respectée de tous, saisonniers comme créanciers ou notables locaux, ce qui revient à parler des mêmes personnes. Il n'y a que son gendre, le père d'Augustin, pour contester les décisions de la vieille. Leurs prises de bec sont permanentes et bruyantes. Lui n'a qu'une idée : vendre le domaine et aller voir ailleurs. Elle ne s'opposera pas à la seconde partie de son projet ; pour la première, qu'il n'y compte pas. Et Augustin dans tout ça ? A-t-il un rôle à jouer ?
Une histoire d'enfant proche d'une personne âgée présentée dans un album en noir et blanc assorti d'une couverture à fond orange. Il va falloir passer outre cet air de ressemblance avec Les funérailles de Luce avant d'entamer le nouveau fruit de la collaboration entre Mabesoone et Mau. Mais cette toute petite preuve de curiosité sera vite récompensée. Au revoir, Monsieur offre autre chose. Un récit noir, à résonance d'enquête policière, autant qu'un de portrait de famille et celui d'une région, d'une époque, d'un type de société. Les personnages présentent des caractères bien marqués, à la limite du gros trait parfois mais il n'en fallait pas moins pour présenter cette galerie où la répartition des tâches et des rôles semble s'être construite avec le temps. La « matriarche », inflexible, sa fille, une suiveuse comme le dit Augustin, Hyppolite, le fidèle et dévoué contremaître, le gendarme à l'ancienne, bien plus fin que sa silhouette ne pourrait le laisser penser, et la bourgeoisie du pays qui sait ce qu'elle doit à la Geneviève. Et le beau-fils, le bon à rien, flambeur, prêt à dilapider ce que les autres, saisonniers compris, continuent de construire à la sueur de leur front. Et il y a Augustin, contraint de se taire, chahuté et ne sachant quelle attitude adopter, qui n'ose espérer la prise de pouvoir par ceux qui ont l'habitude de se taire.
Ces personnages autant vus par le regard d'un enfant que par le scénariste qui ne cherche pas à les exposer sur un mode naïf ou candide, ce sont eux qui font la richesse de ce drame familial et provincial. Non pas que le déroulement de l'intrigue et de l'enquête soient dénués d'intérêt, mais la reconstitution des fait et l'exposé des évènements qui s'ensuivent gagnent un ton au moins grâce à l'épaisseur des protagonistes. La progression est impeccable, jusqu'à la dernière planche qui sait stopper le récit au moment où il faut pour donner de l'impact au dénouement.
Par rapport à Achevé d'imprimer, le trait de Rémy Mabesoone semble avoir gagné en sobriété sans renoncer à être puissant. Moins chargé, débarrassé d'arrière-plans trop sombres ou encombrés, il laisse la place à des figures déjà entrevues auparavant et qui constituent, de fait, des repères (moustaches que les hommes semblent fiers d'arborer, représentants de la maréchaussée tout en képi etc.).
Rencontre entre œuvre réaliste et roman noir, Au revoir Monsieur peut se doubler, selon l'appréciation de chacun, d'une allégorie à propos de l'innocence et de son double sens et d'une peinture de la province rurale du début du XXème siècle. Une réussite.