Résumé: Chine, 1966. Issu d'une famillle de lettrés, Chongrui Nie est directement visé par la Révolution culturelle : il ne fera pas l'école d'arts dont il rêvait mais sera envoyé dans une usine d'armement de la province de Shanxi à Guancen Shan.
Saisi par la beauté de cette région montagneuse et par la sincérité des paysans, Chongrui Nie parvient à s'épanouir dans ce qui aurait pu être une épreuve. Il dessine tout, tout le temps, paysages, statues de temples, scènes de vie, machine-outils... Depuis, cette montagne l'a rappelé à lui à deux reprises.
Son crayon décrit avec virtuosité les dérives de la Révolution culturelle, l'industrialisation à outrance, l'exploitation sauvage des ressources et un pays qui se transforme...
Avec Au loin, une montagne..., sa première oeuvre aussi personnelle, Chongrui Nie offre, au public qui le connaissait pour Juge Bao, l'immensité de son talent.
L
es cinquante ans qui séparent le célèbre manhuajia de sa rencontre avec le mont Guancen n'ont en rien entamé la prégnance de ses souvenirs. Cette partie de sa vie fut marquée de manière indélébile et même ici, à Paris, leur résurgence régulière le pousse à retourner en pensées en ces lieux chargés d'émotions et surtout, à les immortaliser sur le papier, en images. Adolescent, il désirait intégrer une école d'art, mais la Révolution Culturelle en marche a décidé autrement : il devint mécanicien et fut engagé pour construire des usines d'armement dans la province du Shanxi. Cette période éprouvante fut riche d'expériences qui auront des conséquences certaines sur la suite de son existence et son art.
Principalement connu pour sa série le Juge Bao, Nie Chongrui délaisse la fiction pour un récit autobiographique. Celui-ci relate, sous forme de courts chapitres, les épisodes marquants de sa jeunesse qui coïncide avec l'accession au pouvoir de Mao. C'est donc l'occasion pour l'auteur de dépeindre l'influence et les répercussions qu'ont pu avoir ce gouvernement communiste sur son entourage et lui-même. Néanmoins, ce sujet violent se partage le recueil avec des moments empreints de sérénité et d'émotions (tel le déconcertant tête à tête avec un puma) et des portraits de camarades ou de villageois cocasses ou nostalgiques. Au milieu de cela, des séquences plus contemplatives évoquent la spiritualité qui imprégnait les reliefs, comme ce temple caché avec des statues étranges, malheureusement saccagé par les gardes rouges. Le lecteur se promène ainsi dans la mémoire de l'artiste, au gré de sa voix off qui laisse une grande place aux pleines pages s'exprimant d'elles-mêmes. Le contraste entre l'humilité et la sagesse de la nature et la bêtise humaine s'impose au fil de la lecture car, même éloigné de la ville, dans la campagne certes frustre et simple mais sincère, les répercussions politiques intransigeantes restent bien présentes et dévastatrices (destruction du patrimoine, délation extrême, bastonnades).
Si le texte reste sobre, le dessin quant à lui dégage une intensité et une force incroyables. Le crayonné fourmille de traits et, comme par magie, de cette multitude de coups de crayons se dégage des contours qui donnent corps et matière aux hommes, aux animaux, aux bâtiments et aux décors. Le trait réaliste sur fond sépia saisit les événements, comme autant d'instantanés d'une destinée passée.
Roman graphique autobiographique pudique et puissant, magnifiquement illustré, Au loin, une montagne se révèle à la fois le témoignage d'une existence riche et d'un pan essentiel de l'histoire de la Chine.
«Les dieux étaient partis, laissant derrière eux la civilisation chinoise qu'ils avaient protégée durant des milliers d'années. Ils ne devaient plus jamais revenir».