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uand un ténor de la littérature policière se voit adapté en bande dessinée, on songe à Tardi, plus récemment Max Cabanes, on pense crime, noirceur, violence, âmes tourmentées… Et voilà que Jacques Loustal arrive avec son dessin faussement naïf, ses couleurs lumineuses, et met en image non pas le polar attendu, mais un conte. Une simple petite fable enfantine, écrite par un père absent pour son jeune fils d’alors, loin dans les années 60.
Jean-Patrick Manchette puise dans le folklore amérindien, plus exactement chez les Tsimshians de Colombie Britannique, cette épopée d’Asdiwal qui est l’un des plus célèbres mythes des peuplades de la côte nord-ouest des Amériques, popularisé sous nos latitudes par Claude Lévi-Strauss, qui en fit le thème central d’un de ces principaux ouvrages d’ethnographie. Mais du mythe original, si Manchette conserva la trame principale et les péripéties les plus saillantes, le cahier des charges du récit pour enfant l’obligea à évacuer détails scabreux et fin dramatique. Malgré ces aménagements, l’histoire reste gentiment iconoclaste, le ton résolument décalé, mutin, complice, faisant la joie des petits, par son écriture en même temps moderne et archaïque.
Loustal semble s’être amusé à illustrer les aventures de ce petit indien, convoquant un riche bestiaire pour peupler les rocheuses canadiennes (ours, saumon, chèvres, morses), déployant de larges paysages sous son trait simple et précis, épousant parfaitement l’ambiance à la fois naturaliste et fantasmagorique de l’histoire. Et il faut reconnaître que l’alchimie fonctionne : le texte, lu à haute voix, prend toute sa saveur, entre formules malicieusement triviales et poésie primitive, cette dernière étant pleinement rendue par les figures idéalisées et figées du dessinateur. Un livre qui ravira les bambins par trop espiègles.