Résumé: En 1947, Arsène Schrauwen embarque sur un paquebot à destination d’une mystérieuse colonie. Le grand-père d’Olivier Schrauwen a fait ce long voyage à la demande de son cousin Roger. Ensemble, ils vont créer une cité utopique au coeur du monde sauvage qui répondra au doux nom de « Freedom Town ». Atteindre cet objectif sera une entreprise des plus difficiles. Victime de démence, Roger est interné et Arsène partira alors seul et inexpérimenté à la tête de l’expédition qui doit le mener à la terre promise. Il devra faire face aux dangers de la jungle, s’accommoder de ses sentiments pour Marieke, la femme de son cousin, et faire avec un étrange virus tropical qui menace de décimer ses hommes. Progressivement, il va perdre le contrôle et s’éloigner de la réalité, s’engouffrant dans sa propre paranoïa.
Grâce à un dispositif graphique atypique, souligné d’une bichromie rouge et bleu, le lecteur est invité à se perdre au fil des évènements et des digressions oniriques du personnage principal. Biographie fantasmée, parodie de récits d’aventures colonialistes, l’histoire narrée par Olivier Schrauwen est captivante, drôle, et résolument surréaliste. Cette figure montante et immanquable de la nouvelle bande dessinée flamande, à qui l’on doit déjà les remarqués Mon Fiston et L’Homme qui se laissait pousser la barbe (Actes-Sud-L’An 2), livre ici son oeuvre la plus ambitieuse.
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écembre 1947, Arsène Schrauwen s'embarque pour la Colonie. La traversée se déroule sans accroc et son cousin Roger l'attend comme prévu à l'arrivée. Après quelques mois d'acclimatation, il se voit confier la direction du chantier de Freedom Town, une future cité nouvelle sise au milieu de la jungle. Entre déboires amoureux et maladie tropicale, cette mission ne va pas être de tout repos.
Œuvre inclassable et passablement déroutante, Arsène Schrauwen surprend dès la couverture et déconcerte aussitôt la première page tournée. En effet, Olivier Schrauwen – le personnage d'Arsène est basé sur son grand-père – a réalisé une BD totale où l'objet-livre (pages de garde, typographie, papier) a autant d'importance que le contenu lui-même. Chaque détail a son importance et participe à l'atmosphère inquiétante et ironique de ce vrai-faux récit d'aventure coloniale. Le scénario, qui se joue des genres et prend de nouveaux virages à tout instant, pioche allègrement dans une multitude de références littéraires comme Au-dessous du volcan, Vendredi ou les Limbes du Pacifique, sans oublier, belgitude oblige, un soupçon de Tintin au Congo. Allusions architecturales également, car Oscar Niemeyer et Le Corbusier viennent immédiatement à l'esprit, mais aussi culturelles (l'imagerie populaire du colon blanc loin de la métropole, les hommes-léopards y compris) pour clore un vaste panorama allusif. Il en résulte un magma narratif, parfois un peu incongru voire fermé, mais immanquablement intéressant et non dépourvu d'un certain humour.
Une partie de l'originalité de l'album vient également de sa construction très pensée. Imprimés en bichromie, les dessins changent de couleur (du rouge au bleu et inversement, mais pas seulement) suivant le degré de réalité de la scène, les différents objets ou protagonistes peuvent être réduits à de simples formes géométriques, selon l'importance que le héros leur confère et les récitatifs se troublent en fonction de l'état d'ébriété de celui-ci. L'auteur propose également au lecteur de faire des pauses plus ou moins longues avant de poursuivre sa lecture.
Entre exercice ludique ou jeu purement intellectuel, Arsène Schrauwen est un ouvrage OVNI extraordinairement travaillé qui recèle son lot de surprises. À lire avec une Trappiste à portée de main, évidemment.
Les avis
makidoo
Le 26/03/2018 à 19:17:27
Bourré d’inventivité (et de beauté) graphique et scénaristique, cet Arsene Schrauwen se distingue par sa singularité et n’est pas loin d’être un chef-d’œuvre.
Toujours sur un fil décalé, les situations décrites ont parfois un côté un peu « gênant » ( les hommes-léopard nymphomanes par ex), avec cet humour pince-sans-rire propre à Schrauwen, les graphismes et les couleurs (bichromie bleue et rouge) retranscrivent l’état d’esprit et le degré de réalité du personnage principal (paranoïaque par rapport à l’hygiène et les vers-éléphants dans la première moitié du livre, souvent saoul à force de consommer de la trappiste, catapulté malgré lui directeur d’un projet délirant... ).
Détail surprenant, les autochtones sont absents, invisibles, pour mieux signifier que les colons sont dans une re-création de leur univers et de leur mode de vie dans un huis clos parfois étouffant, incapables d’apprécier l’exotisme et la beauté d’un environnement qui ne leur est pas familier. D’autres personnages sont parfois épurés ou géométrisés à l’extrême, selon la perception que peut en avoir Arsene, dans une ligne claire propre à l’auteur.
On ne peut s’empêcher de penser à Chris Ware avec le concept de « BD totale », l’objet livre participe à l’œuvre, de la couverture à la 4ème de couverture (très drôles !), aux pages de garde, en passant par les motifs ou entrelacs des inter-cases, tout fait sens.
Œuvre dense, originale, sans concession, mais qui s’essouffle peut-être un peu sur la longueur, on a tout de même affaire à un passionnant travail du média de la part d’Olivier Schrauwen, un auteur extrêmement talentueux !