Résumé: Tout ce qu'on va lire ici a été vécu par des gens de France. "
C'est ainsi que Joseph Kessel introduisait son roman magistral, aujourd'hui adapté par JDMorvan et Emmanuel Moynot : une plongée dans les conditions de fonctionnement de la Résistance, dans une France éprouvée par l'occupant allemand et la collaboration.
Avant le film incontournable de Jean-Pierre Melville, il y avait le roman essentiel de Joseph Kessel !
Londres, 1943, le roman-symbole de la Résistance est préfacé ainsi par son auteur :
" La désobéissance civique, la rébellion individuelle ou organisée sont devenues devoirs envers la patrie.
Jamais la France n'a fait guerre plus haute et plus belle que celle des caves où s'impriment ses journaux libres, des terrains nocturnes et des criques secrètes où elle reçoit ses amis libres et d'où partent ses enfants libres, des cellules de torture où malgré les tenailles, les épingles rougies au feu et les os broyés, des Français meurent en hommes libres.
Tout ce qu'on va lire ici a été vécu par des gens de France. "
L'armée des ombres était selon Kessel une commande du général de Gaulle, qui lui aurait demandé " d'écrire un livre pour apprendre au monde ce qu'est la résistance française ". L'auteur prête ainsi sa plume à la lutte. Il est également l'un des auteurs du Chant des partisans, hymne de la Résistance.
L'histoire se déroule en France, entre 1942 et 1943. On suit les membres d'un réseau de la Résistance, dirigés par Philippe Gerbier, ingénieur et chef de réseau. Des hommes et femmes courageux qui luttent contre l'occupant allemand et la collaboration, au péril de leur vie. À travers leurs combats, on découvre l'importance des valeurs de solidarité, de courage et de sacrifice : une plongée dans les conditions de fonctionnement de la Résistance, dans une France éprouvée.
Adaptant le texte original, JDMorvan et Emmanuel Moynot dépeignent à leur tour le quotidien des Français de l'époque, fait de rationnement, de rafles et de travail forcé...
P
ublié en 1943 suite à une suggestion du Général De Gaulle, selon la légende, L’armée des ombres tient autant du témoignage que du roman mâtiné de propagande : présenter et raconter la Résistance française, envoyer un message d’espoir à la Nation occupée et démontrer aux Alliés, que même battue et envahie, la France continue à se battre face aux nazis. Grand reporter à la carrière déjà bien garnie et à la plume alerte, Joseph Kessel s’est nourri à la source même du mouvement et a imaginé un récit mosaïque où tous les aspects du sujet, même les moins reluisants, sont présentés et mis en perspective. Héros de circonstances ou convaincus, entraide, solidarité, actions violentes, moments tragiques et, ici et là, quelques jolis «coups» façon film à suspens, le texte eut un immense impact et fit date.
Après une adaptation cinématographique signée Jean-Pierre Melville (1969), Jean-David Morvan, Emmanuel Moynot et Benoît Lacou proposent une version BD de ce classique de l’héroïsme. Première observation, le résultat se montre à la hauteur. La narration s'avère tenue, parfois un peu expédiée (c’est inévitable) et totalement immersive. En résumé, le scénariste a su conserver l’esprit des mots de Kessel. Comme le titre l’indique, il s’agit de décrire une armée. Une armée sur le pied de guerre évidemment, mais qui doit rester cachée, en tout temps et autant de son ennemi que de ceux qu’elle défend. Le constat est à la fois simple et terrible : discrétion la plus totale, mesures de contre-espionnages serrées (une trahison ou ne serait-ce que l’impression de celle-ci et c’est la mort), pression psychologique sans répit et la peur. La peur d’être dénoncé ou découvert, ça fait partie du jeu. Mais quid du doute permanent d'être sûr de n’avoir pas commis, soi-même, une imprudence par inadvertance et mis ainsi en danger des compagnons ? La fin justifie les moyens et la cause est juste, le prix à payer sera effrayant. Page après page, le lecteur accompagne ces hommes et femmes courageux qui ont accepté de tout sacrifier pour leur pays et la liberté.
Moynot aux personnages et à la mise en scène, Lacou s’occupe des décors. Branché sur la même influence tardiesque, les deux auteurs se comprennent et se complètent parfaitement. La reconstitution de l’Hexagone au temps du couvre-feu et du rationnement sonne particulièrement juste. Logiquement, les membres des réseaux occupent le centre de l'histoire. Le style carré et à la serpe du dessinateur de La suprématie des Underbaboons les dépeint avec force et profondeur. Oui, oui, ce sont des héros, la chose est entendue. Cependant, il s’agit surtout d’êtres constamment traqués et tellement fatigués par cette lutte de tous les instants.
Les grandes œuvres se reconnaissent par leur capacité à rester pertinentes sur la durée. L’armée des ombres est une de celles-ci. Littérature, pellicules, illustrations, peu importe le support, le cœur de la Résistance continue de battre et de représenter la meilleure version de l’âme humaine. Indispensable.