Résumé: Athènes, 315 avant Jésus-Christ.Théophraste dirige le Lycée, un établissement d'enseignement fondé par Aristote.Quelques années plus tôt, il fut son ami et son disciple. Aujourd'hui, il transmet à ses élèves les préceptes de ce célèbre philosophe, selon lequel « la soif de connaissance et l'envie de découvrir la nature sont innées chez l'homme ».Curieux de tout, Aristote n'a cessé d'explorer le monde dans lequel il vivait, se passionnant pour la philosophie comme pour l'astronomie, la métaphysique et la biologie. Et surtout, il ne se doutait pas que ses théories seraient encore discutées plusieurs siècles après sa mort...Tassos Apostolidis et Alecos Papadatos racontent la vie d'Aristote, qui fut d'ailleurs le professeur d'Alexandre le Grand, et mettent en scène sa pensée. S'ils apportent une réponse à des questions essentielles, comme « Qu'est-ce qui définit un comportement éthique ? » ou « Quelle est la meilleure forme de gouvernement ? », ils n'en oublient pas pour autant de faire preuve d'humour. Lequel est aussi une forme de sagesse que ne dédaignait sans doute pas Aristote...
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n 315 avant J.C., à Athènes, Théophraste dirige Le Lycée, l’école péripatéticienne, dite des promeneurs ou des promenoirs. Il succède à Aristote (-384 ; -322) qui avait pour habitude de dispenser ses cours en marchant. Il narre le parcours du petit homme chétif, dont il fut le disciple. En -323, Aristote, le Macédonien, dont le protecteur Alexandre le Grand vient de disparaître, se sent menacé. Depuis des décennies, rivalités et tensions ne cessent de ponctuer les relations entre les Athéniens et la Macédoine. Démophilos et Eurymédon complotent contre lui. Le savant se souvient de la condamnation de Socrate. Il décide de s’exiler à Chalcis, dans une propriété héritée de sa mère. Il se remémore alors son arrivée dans la cité, lorsqu’il avait dix-sept ans, son entrée dans l’académie dirigée par Platon, dont il avait lu auparavant les écrits. La mémoire se met en marche et raconte. Les souvenirs s’entremêlent pour évoquer le parcours d’un individu hors norme, une pensée fondatrice et une période historique agitée.
Le professeur de mathématiques, metteur en scène, chroniqueur et scénariste Tassos Apostolidis et le dessinateur Alecos Papadatos (Logicomix) ont uni leurs passions pour l’Antiquité grecque et la philosophie pour mettre en images et en mots les principes, la personnalité et l’itinéraire d’une des figures les plus marquantes de l’histoire intellectuelle occidentale. Chronologiquement, il apparaît après les présocratiques (terme générique désignant les défricheurs) et Socrate, dont Platon, son élève, a transcrit l’enseignement, le plus souvent sous forme de dialogues. Platon et Aristote se sont connus, opposés, respectés, combattus, laissant à l’humanité deux œuvres qui contribueront largement au développement des idées et des sciences. Aujourd’hui encore, leurs systèmes font référence.
La tâche est ardue et la lecture de l’album est exigeante. En effet, les concepts abordés, le niveau d’abstraction et la masse d’informations diffusées demande concentration et efforts. Ça ne se lit pas comme un épisode des Tuniques Bleues ou une succession de gags de Boule et Bill. Pourtant, le charme opère. D’une part, le récit alterne subtilement leçon philosophique, biographie du protagoniste, épisodes diplomatiques, scènes comiques et situations du quotidien. D’autre part, Papadatos opte pour l’esthétique consensuelle des gros nez, des silhouettes débonnaires, des faciès à l’expression simple, n’ajoutant pas de messages graphiques superflus à un texte déjà dense. Pour peu que le lecteur accepte de fragmenter sa lecture, de prendre son temps, de laisser reposer entre deux épisodes, il prend part à un voyage multiforme et stimulant, qui remet la philosophie au cœur de la société. L’humour est également bien présent ; l’épisode du bordel, au cours duquel Aristote fait un cours à une prostituée est succulent. Les clins d’œil à des classiques de la bande dessinée (Astérix en tête, bien sûr) sont des récréations appréciées.
Entre syllogismes et classifications, fluidité narrative et érudition, démonstrations et scènes cocasses, opposition du monde platonicien des Idées à l’observation aristotélicienne de l’expérience, l’ennui n’a pas de place et le propos est d’une haute tenue, tout au long de ces deux cent seize planches. Le sujet ne doit pas rebuter ; au contraire, il constitue une occasion trop rare de considérer ce qui constitue l’essentiel de l’humain et de son rapport au monde.