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ejetant l’amour, le nain Albérich s’empare de l’Or du Rhin et y a forge un anneau au pouvoir immense. Plus tard, afin de récupérer Freia la déesse gardienne des pommes d’immortalité, Wotan le lui soustrait pour le donner en paiement à Fasolt et Fafner, bâtisseurs de la forteresse flottante du Walhalla. Mais la malédiction proférée par Albérich commence à s’accomplir : le dragon Fafner tue son frère pour posséder le trésor. Dans le même temps, Wotan supplie sa fille, la Walkyrie Brünnhilde, de sauver du courroux de Fricka les enfants qu’il a eu d’une mortelle, Siegmund et Sieglinde. Les années passent, la guerre et les invasions sévissent dans le monde des hommes. Bien que veillant sur eux, Brünnhilde ne peut empêcher les jumeaux de se retrouver ni de s’aimer, et encore moins les sauver de la colère de leur père.
Œuvre de Wagner à la fois très célèbre et méconnue, la Tétralogie ou L’Anneau des Nibelungen se situe pourtant aux sources d’un genre particulièrement florissant actuellement : l’heroic fantasy. Elle en a fortement inspiré l’ouvrage le plus représentatif : Le Seigneur des Anneaux de J.R.R. Tolkien. Et le mythe des Nibelungen a également été repris par Fritz Lang dans deux films. La bande dessinée n’a pas été en reste puisqu’une adaptation en a été faite par Numa Sadul et France Renonce dans les années 1980 et que le mangaka Leiji Matsumoto (Albator) en a lui aussi produit une version. Même le jeu vidéo s’est pourvu d’un Ring reprenant l’opéra wagnérien et porté par le graphisme de Philippe Druillet. Tout récemment enfin, alors que les éditions Emmanuel Proust publient ce premier volet de L’Anneau des Nibelungen proposé par Sébastien Ferran (Ulysse), Soleil va sortir un Crépuscule des Dieux pareillement inspiré de l’œuvre du compositeur allemand.
Wotan le faible ouvre une trilogie. On peut s’en étonner puisque Wagner a écrit quatre opéras ou plus exactement trois et un prologue. Cette subtilité n’a pas échappé à Sébastien Ferran qui, dans ce premier tome, a rassemblé ce qui se déroule dans L’Or du Rhin et La Walkyrie. Préférant aller à l’essentiel, il ne retient que la substantifique mœlle afin de concentrer le récit sur Brünnhilde et Siegfried. Du moins est-ce ce que les pages introductives suggèrent. Ce faisant, l’auteur emprunte des raccourcis qui, s’ils paraissent parfois trop hâtifs (ainsi l’idylle éclair entre Siegmund et Sieglinde), ne dénaturent cependant pas l’opéra d’origine. C’est même plutôt un tour de force de parvenir en 52 planches à poser les éléments clefs d’une œuvre aussi foisonnante et longue. Par ailleurs, Ferran a su conserver intacte la dimension tragique de L’Anneau des Nibelungen que la rapidité de l’action dans cet album rend encore plus intense. Et il ne fait guère de doute que l’aspect épique, effleuré ici, sera développé par la suite.
Si le dessin apparaît un peu grossier et inégal au début, il ne manque ni de force ni de puissance et confère au contraire une personnalité certaine aux protagonistes par le fait même qu’il n’ait rien de lisse. Un soin particulier est apporté aux expressions faciales ou à quelques détails corporels (les bijoux de Fasolt) ainsi qu’à certains décors, comme les mines d’Albérich ou le Walhalla qui mêle l’architecture des cathédrales gothiques et romanes à celle des mosquées. La mise en couleurs en teintes sombres rend bien l’atmosphère ténébreuse de l’histoire et en accentue le côté crépusculaire. De plus, on peut apprécier le travail précis à la tablette graphique pour le rendu du feu et des flammes qui semblent presque « vivants ».
Moderne, la série de Sébastien Ferran s'avère fidèle à la Tétralogie et ne devrait pas hérisser les connaisseurs malgré un traitement en trois volets. Par ailleurs, en choisissant de se concentrer sur l’essentiel, elle permet aux néophytes d’accéder aisément à ce mythe fondateur, voire à l'amener à pousser plus avant sa découverte.