Résumé: Épisode particulier dans l’histoire des conquistadors, ce long périple jusque dans les lointaines îles Philippines fut dirigé d’une main de fer par Isabel Barreto, autoproclamée Adelantada après son veuvage. Commandé aux auteurs pour la commémoration des 500 ans de la découverte du continent américain, ce récit encore inédit en France nous permet d’apprécier un aspect plus épique du talent hors-norme de Carlos Nine.
C
'est en 1567 que Don Álvaro de Mendaña partit du port de Callao au Pérou, cap vers l'Ouest. À quel dessein ? Celui de sillonner les mers à la recherche de ces îles inconnues que tous fantasment, synonymes de mystère et de promesses multiples. Après un mois de navigation, lui et son équipage accostent sur de nouvelles terres : les rumeurs de richesses et de paradis vont-elles se concrétiser ?
Il faut revenir quelque peu sur le point de départ particulier de cet ouvrage. En effet, il fait partie d'une commande de l'Espagne passée en 1990 pour le cinq centième anniversaire de la «Découverte de l'Amérique» et parut en 1992 dans son pays d'origine. Les éditions La Cerise offrent donc aux lecteurs français, vingt-sept ans après, cette première collaboration entre les deux auteurs (la trilogie La Pampa fut écrite a posteriori).
Jorge Zentner - souvenez vous de l'excellent Tabou - propose son interprétation d'un fait historique, la découverte des Salomon. Le début de l'album conte l'expédition originelle du conquistador péruvien, puis ses tentatives de retour dans ces contrées en compagnie de sa jeune épouse, Isabel Barreto. Un souffle épique inspire le texte et la narration qui alterne les dialogues et la voix off se révèle très bien construite. L'identité de l'orateur reste secrète jusqu'aux dernières cases. Le scénariste s'est attaché non seulement à dépeindre les difficultés de l'entreprise de conquête, mais aussi à décrire le duo principal : l'un est juste, intelligent et diplomate, l'autre est difficile à cerner, dur et profondément pieux. À vous de découvrir qui est qui...
Selon son fils (qui signe la préface instructive), Carlos Nine aura sué sang et eau pour mener à bien cette barque de papier. Pour travailler plus rapidement et respecter l'échéancier, l'Argentin a dû changer sa technique habituelle et dessiner avec beaucoup de spontanéité, à son grand dam. Il utilise ainsi l'aquarelle directe sur une base de fusain, c'est tout. S'il a du revoir ses principes de rigueur et de maîtrise, il a pu acquérir de nouveaux procédés pour ses travaux futurs. Tous ses efforts n'auront pas été vains ! Le résultat est superbe : les paysages, les décors et les personnages aux contours vaporeux, empreints de liberté, presque brouillons et sommaires par moments, mais qu'à cela ne tienne, quel rendu ! Les couleurs, qui traduisent aussi bien la fureur que la quiétude et la poésie, participent grandement au plaisir de lecture. Les yeux voguent et voyagent. Le découpage très simple permet de mettre en valeur ces illustrations. Dans son relâchement maitrisé et sa transparence, le style fait penser à l'artiste Vincent Pompetti.
Vue sous un angle original et magnifiquement illustrée, cette histoire véridique se parcourt comme un récit d'aventure romanesque palpitant sur fond de conquête, de mutinerie et d'imposture.