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uyant un scandale familial, Karl Rossmann, un jeune homme allemand de dix-sept ans, est envoyé aux États-Unis pour se faire oublier. Il débarque plein d'espoir à New-York, mais va vite apprendre à ses dépens que le genre humain peut se montrer cruel et qu'il est bien difficile de se faire une place au soleil, particulièrement pour une âme sensible.
L’Amérique ou le disparu est l'adaptation d'un livre inachevé datant de la jeunesse de Franz Kafka. Vaguement basé sur le modèle des romans d'apprentissage ou initiatiques, il narre le cheminement et l'évolution du héros face à différentes épreuves ou rencontres. Sans être aussi sombre que les travaux postérieurs de l'auteur de La Métamorphose, l'histoire se révèle même assez amusante par moments. Les principaux thèmes – peurs pourrait-on dire – qui ont défini le romancier pragois se font néanmoins déjà remarquer. Plus le récit avance et plus la gêne sociale de Karl point, tandis que l'administration ou toutes les formes de pouvoir tentent irrémédiablement d'écraser l'individu.
Réal Godbout (Red Ketchup), auteur majeur de la BD moderne au Québec, a pris quasiment dix ans pour mener à bien son travail de recréation. Sa volonté a été de rester le plus fidèle possible au texte. Ce choix honorable permet à l'album de conserver toutes les qualités du conte original, mais également reprend ses défauts. En effet, sur la longueur, les différentes péripéties de Rossmann peuvent sembler quelque peu décousues. De plus, l'attitude du héros, toujours stoïque face à l'adversité tout en n'apprenant quasiment rien de ses déconvenues, le rend passablement agaçant. Heureusement (ou pas), le fond du propos, dénonçant l'arrogance de ceux qui pensent savoir et la tendance à vouloir profiter du plus faible, reste d'actualité et la narration offre, à sa manière, un portrait décalé très grinçant du rêve américain.
Chantre outre-Atlantique de la ligne claire, le dessinateur propose un ouvrage d'une grande lisibilité, doté d'un petit cachet nostalgique tout à fait appréciable. Le trait rappelle évidemment les maîtres anciens, tel Hergé ou Bob De Moor, voire le côté baroque d'un Willy Vandersteen, mais aussi celui des ré-inventeurs de ce style à la fin des années soixante-dix comme Joost Swarte. Mis à part un lettrage un peu fluctuant, les cent-soixante planches sont admirables et contiennent plusieurs moments de bravoures graphiques de très haut niveau.
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Le blog très complet de la création de L'Amérique ou le disparu.
Les avis
Erik67
Le 07/11/2020 à 11:20:03
Je n'aime pas vraiment Kafka car c'est souvent des situations totalement absurdes où l'individu ne s'en sort pas. Nous suivons le parcours improbable d'un jeune naïf qui débarque en Amérique et qui va vivre des aventures pas très sereines passant d'une difficile situation à l'autre avec une touche d'humour absurde.
Il y a toujours la critique de cette justice tatillonne qui sanctionne les innocents qui ne peuvent se défendre face à l'implacable. Cependant, ce jeune homme est parfois assez énervant dans les choix qu'il opère et dans cette confiance aveugle au genre humain. On se dit que c'est parfois de sa faute. La naïveté ne pardonne pas dans un monde où l'individu est écrasé.
L'oeuvre est inachevée et cela se ressent à la fin. Pour autant, on a l'impression de suivre un long roman fleuve. Rien à redire sur le graphisme parfaitement lisible. Un volume de texte parfois abondant qu'il faudra digérer.
IbZz
Le 07/08/2014 à 23:47:11
Une bien étrange lecture, qui revient sans cesse en tête, tant elle m'a surpris. Au début, je ne l'aimais pas, à cause du scénario alambiqué, du manque de sens, et de cette fin sans queue ni tête. Puis, après mûre réflexion, ce manque de sens si dérangeant est devenu tout à fait intéressant, lorsque je repense à bon nombre de bédés plus conventionnelles, dans lesquelles tout s'imbrique parfaitement, où la logique est si souvent implacable.
A bien y repenser, c'est finalement plus proche de la réalité qu'on ne le croit. L'on se retrouve souvent à errer, à chercher des clefs de compréhension, alors que la vie est faite de hasards, et ne tient qu'à un fil.
C'est ce à quoi me fait penser cette merveilleuse retranscription du roman de Kafka, remarquablement dessinée. C'est d'ailleurs un travail titanesque de recherche, tant pour l'adaptation que pour l'aspect visuel.
La fin est tout bonnement incroyable.
Une merveille du neuvième art, qui établit un joli lien avec la littérature, sans en rester l'esclave.
willybouze
Le 04/02/2014 à 14:11:14
Une BD tirée d'un roman de Kafka. Traitement classique, édition classique.
L'histoire : un exilé européen (de force) débarque, ado, aux Etats-Unis, sans destination précise. Il est pris en charge par un oncle mégalomane et mythomane qui, de sa richesse, tente de l'intégrer à la société étatsunienne, enfin... tant que ça ne le contrarie pas.
Puis il l'abandonne sans ressource.
S'ensuit une série d'aventures plus ou moins captivantes, avec la rencontre de malfrats tenaces, et de personnages tous vicieux et de mauvaise foi.
Malgré la fin que je craignais aussi désespérante que tout le déroulé, je ressors de cette lecture avec une accumulation de mauvais sentiments.
Rien d'extraordinaire, donc, dans cet ouvrage, ni le graphisme, ni l'histoire, mais c'est quand même intéressant et on ne s'ennuie pas. M'enfin, si je ne l'ai pas dans ma BDthèque, il n'y manquera pas...