Résumé: Soudain, un vacarme vrombissant déchire le crépuscule. Lorsque revient le silence, un crapaud gît sur le bitume. Regroupant ses dernières forces, il porte son chapelet d'oeufs jusqu'aux eaux salvatrices de l'étang - et du seul oeuf indemne éclot un têtard orphelin : Alyte est un survivant.
À peine né, et déjà il faut se battre ! échapper aux oiseaux, aux ours et autres dieux du monde de la rivière. Heureusement, un saumon lui montre comment se servir des courants et déjouer les pièges. Ce saumon s'appelle Iode, c'est son premier ami. Plus tard, Alyte rencontrera un chevreau et un aigle ; un hibou, et enfin Axon, le plus vieil arbre de la forêt. Chacun d'eux lui parlera du monde à sa façon, l'éveillant à ses beautés. Et bientôt viendra le temps pour Alyte de prendre soin, à son tour, d'un nouveau chapelet d'oeufs. Il lui faudra alors, comme son père avant lui,franchir la léthalyte. Cette ligne droite qui traverse la forêt et gronde à l'approche des animaux. Cette ligne noire qui les fauche sans raison, face à laquelle le minuscule Alyte n'a presque rien à opposer, sinon son immense soif de vie. Après Le Discours de la panthère, Jérémie Moreau continue son exploration du sauvage qui vit à nos côtés, aussi proche qu'invisible. Parmi la multitude de drames qui s'y jouent, il choisit de mettre en scène le plus redoutable : celui de la confrontation avec un monde humain absurde et aveugle,sa violence mortifère, sans but et sans égards. Avec Alyte, un Jérémie Moreau toujours plus virtuose invite son lecteur à changer son rapport au vivant et entrer, comme ce valeureux crapaud,en résistance.
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ortant de la broussaille, un crapaud portant ses œufs arrive au bord de la route. Il entame sa traversée. Un vrombissement brise la quiétude de la soirée. Le sol se met à trembler. Une lumière aveuglante fonce sur le batracien. Une fraction de seconde plus tard, le calme est revenu. Le crapaud ensanglanté est allongé sur l’asphalte. Son amour pour ses progénitures lui permet de mobiliser des forces insoupçonnables. Dans son dernier souffle, il rampe sur le bitume pour atteindre un point d’eau où il se laisse finalement tomber. Un seul têtard en réchappe.
En 2020, Jérémie Moreau publiait chez 2024 Le discours de la panthère, succession d’histoires courtes aux allures de fables, prétextes à de profondes réflexions sur le sens de la vie et de la mort. C’est dans la lignée directe de ce précédent ouvrage que s’inscrit Alyte, qui prolonge l’exploration par l’auteur du monde animal et poursuit les réflexions qu’il avait initiées. Alyte est un crapaud accoucheur. Après la tragédie qui frappe son père et ce qui aurait pu être sa fratrie, l’amphibien se retrouve seul pour partir à la découverte du monde. Dès la naissance, il est confronté à la brutalité de son environnement. Heureusement, son chemin l’amène à faire de belles rencontres : Iode le saumon, Plonk le chevreau, Musk le bousier ou encore Axon, le plus vieil arbre de la forêt. Surtout, dans sa quête du sens à donner à son existence, il apprend à accepter que la mort est partout, qu’elle constitue la fin inévitable de toute chose.
Jérémie Moreau est en terrain connu et aborde une nouvelle fois les thématiques qui traversent toute son œuvre, un propos écologiste évident étant également au cœur du sujet. L’artiste parvient toutefois à se renouveler en proposant un traitement différent avec, dans le cas présent, une approche assez métaphorique par endroit. Accessible à tous les publics, cet album peut parfaitement être appréhendé par de jeunes lecteurs qui pourraient être séduits par le trait rond et empreint de naïveté, la douceur des couleurs et la puissance des doubles planches. Tout, dans Alyte, semble d’une infinie simplicité. La dureté des messages véhiculés n’est, pourtant, aucunement édulcorée. Chacun·e peut, dès lors, trouver matière à longuement réfléchir.
Déambulation poétique, ode à la Nature, cri du cœur pour éveiller les consciences collectives… c’est tout cela que Jérémie Moreau rassemble avec talent dans ce livre indispensable.