A notre époque, cette appellation chantante, derrière laquelle se cache une réalité qui l’est bien moins, ne trompe plus personne. Quand les parents, dans un complet décalage, ne sont plus écoutés. Quand les parents, porteurs des stigmates des cassures de chaque jour, sont tout juste supportés. Quand les parents, haïs, sont devenus les ennemis. Alors les références ont volé en éclats, l'oisiveté et l’errance prennent le dessus, les frustrations du quotidien entraînent des actes de petite délinquance dilués dans la masse environnante. De brefs passages au commissariat ouvrent parfois le chemin de la prison, laissant l'impression d'un tirage de loterie. Mais les jeunes années ne sont pas une vie et quand les enfants deviennent parents à leur tour...
Surprise à la lecture des premières pages, les faciès des protagonistes ne sont pas sans rappeler ceux mis en scène dans la seconde nouvelle de 3 ardoises où de jeunes désœuvrés ont la bonne idée d’emprunter une camionnette pour emmener leurs chéries voir la mer, un beau plan loose. A la différence de cet album qui proposait trois histoires distinctes qui n’avaient de lien que la noirceur du ton et où le dessinateur s’essayait à différentes techniques en noir et blanc, Allée des rosiers est composé de trois chapitres mis en couleur, dessinés respectivement par Laurent Houssin, Olivier Martin et Benoît Springer et intimement liés pour ce qui est du contenu.
Ce choix qui consiste à confier chaque partie à un dessinateur différent peut paraître discutable, et cela même sans aller jusqu’à regretter le noir et blanc de 3 ardoises. S’il est possible de considérer que chacun a ses qualités pour traiter de son passage, il est aussi possible de penser que cela n’amène pas grand chose, voire dénature l’unité globale.
C’est indéniablement sur le fond que ce récit puise sa force, Séverine Lambour maîtrise l’univers dans lequel elle plonge son lecteur : pas de fioritures ou de bons sentiments, pas d’excès inutile. Sa narration tranchante n’enlève rien à la fadeur de ce microcosme appelé banlieue mise en exergue par des couleurs d’une tristesse absolue. C’est avec sobriété et efficacité que les non-dits et le malaise ambiant suintent à chaque planche. Sans être dénué d’humour, sans doute un certain recul le permet-il, l’ensemble n’en est pas moins dur : un passage en prison passant presque comme une lettre à la poste au regard de la violence de l’humiliation finale.
Ce premier tome, Tuile sur tuile, s’en tient à la description du quotidien de quelques paumés confrontés à une certaine réalité dont ils sont partiellement coupés, pas moins d'ailleurs que ne le sont leurs interlocuteurs face à la leur. C’est indéniablement la qualité majeure de cette chronique sociale qui, ni ne juge, ni ne prend partie, mais expose.