D
u sable à perte de vue, un arbre gringalet tendant ses branches nues vers le ciel, un campement dont les habitants vaquent à leurs occupations quotidiennes. Au loin, une jeep surgit, entourée d’un nuage de sable, et s’approche. Un Blanc, représentant du groupe Areva, en descend et demande à parler au chef, Mohamed Aghali Zakara. Sous la vaste tente, les deux hommes discutent : s’il veut pouvoir assurer la subsistance de sa famille, le Touareg doit se rendre aux mines d’uranium d’Arlit. Il n’a pas le choix, même s’il doit quitter famille et biens. Des années plus tard, son fils Rhamid se trouve dans un autre camp, entouré d’hommes en armes, comme il l’est lui-même. Il fait partie du Mouvement des Nigériens pour la justice, opposé au pouvoir en place, qui va attaquer l’aéroport d’Agadez…
Alors que, depuis janvier 2012, l’Azawad, au nord du Mali est en proie à une nouvelle insurrection touarègue, David Boller s’intéresse à une autre rébellion, celle menée dans l’Aïr, au Niger, par les « hommes bleus » du MNJ, entre 2007 et 2009. Ceux-ci réclamaient, entre autres, une meilleure considération, ainsi qu’une meilleure répartition des revenus des richesses naturelles et la fin de la surexploitation de ces mêmes ressources. Dans ce premier tome, l’auteur suisse évoque ce soulèvement à travers le destin de Rhamid, un Touareg insurgé dont le père, n’ayant plus d’autres moyens de nourrir les siens, est parti travailler dans les mines d’uranium, d’où il n’est jamais revenu.
Très visuel, l’album s’ouvre sur la rencontre qui a fait basculer l’avenir du nomade, avant de mettre en scène les événements de 2007 dans l’Aïr auxquels il participe. De nombreux retours dans le passé viennent entrecouper l’action et éclairent d’une certaine façon les choix du jeune Touareg ou, du moins, permettent au lecteur de mieux en appréhender la logique. Sans être clairement partisan, David Boller n’en brosse pas moins un tableau terriblement réaliste et interpellant de la réalité de ce peuple, de sa culture, ainsi que de sa lutte pour sa reconnaissance et sa survie malgré la sécheresse toujours plus difficile à affronter. Les scènes de flashback soulignent à la fois la rudesse de l’environnement, le combat quotidien, mais aussi la douceur et la tranquillité de ces « hommes bleus », tandis que les passages à Agadez montrent, eux, la férocité d’êtres acculés, prêts au pire pour que le monde entende leur voix. L’auteur ne manque d’ailleurs pas de signaler que l’insurrection armée et les actions violentes ne font pas forcément l’unanimité, à travers les doutes ressentis par Rhamid quant à l’utilité de commettre un attentat là où se trouvent de potentielles victimes innocentes, civiles de surcroît.
La voix-off, présente tout au long de ce tome, exprime la vision et les sentiments de Rhamid, tant dans le passé que dans le présent. Elle assure la transition entre les deux époques et lie une narration manquant parfois un peu de fluidité, surtout lors des aller-retour temporels. Elle accompagne également bien un récit qui s’appuie beaucoup sur le traitement graphique lequel invite à une certaine contemplation, malgré une bonne dose d’action. En effet, les vastes étendues désertiques, la mise en scène du quotidien touareg, se laissent admirer avec plaisir et contrastent avec les pages mettant en scène la pluie d’acier et de sang qui s’abat sur Agadez. Le trait, réaliste et expressif, se double d’un encrage peut-être un rien trop marqué et épais. Enfin, la colorisation se révèle trop vive par moments, bien qu’elle s’accorde généralement plutôt bien aux différentes atmosphères de l’album.
Ce premier volet d'Aïr s'avère des plus intéressants, malgré quelques défauts. Rendez-vous est donc pris pour la suite de ce diptyque.
Les avis
Erik67
Le 09/11/2020 à 10:14:39
La thématique est intéressante surtout à l'heure du contexte actuel de la guerre au Mali. J'ai bien aimé le dessin bien que la couleur soit omniprésente en jouant surtout sur cet effet. Cela met en valeur l'habit porté par les Touaregs.
On en apprend un peu plus sur cette peuplade qui s'étend à travers plusieurs pays du Sahara (Algérie, Libye) et du Sahel (Niger, Mali, Burkina Faso). Persécutés par les pays voisins, menacés par le désert qui s'étend sans cesse et une économie précaire en raison de l'exploitation de leurs ressources naturelles, une question s'impose : comment sont-ils censés survivre ? Cette histoire en deux albums propose un aperçu éclairé et provocant sur les difficultés rencontrées par le peuple de l'Aïr, la plus vaste chaîne de montagnes du Niger.
Il est dommage que cette bd soit passée totalement inaperçue en 2012. Elle n'a pas trouvé son public. Il est vrai que le scénario souffre de quelques faiblesses. Cependant, c'est très intéressant de découvrir cette culture. Au début du XXième siècle, les Touaregs furent le dernier peuple d'Afrique de l'Ouest soumis par les Français. J'aime ce côté résistance pour préserver leurs valeurs. Ces dernières années, les Touareg du Niger et du Mali se sont révoltés. C'est leur histoire qui fait l'objet de cette bd à découvrir.
A noter que le second tome est sorti en 2015 pour clore définitivement cette histoire dramatique. Il est clair qu'on aura un autre regard sur cette région du monde au sortir de cette lecture.