Info édition : Noté "Première édition". Avec jaquette. Contient, en fin d'album, un cahier de 9 pages intitulé "À défaut de voler". Format 160 x 230 mm.
Résumé: En venant au monde, Petra, la mère de l’auteur, tue sa propre mère. Cette mort en couches est le drame fondateur de sa vie. Dès sa naissance, elle est molestée par un père qui la tient pour fautive de ce «meurtre». Elle vouera pourtant, durant toute son enfance, une dévotion sans borne à cet homme brutal et dépressif, à la fois barbier, marchand de tabac, infirmier, auteur de pièces jouées sur les places de village. Maltraitée, exploitée par le reste de sa fratrie, finalement violée, Petra part en ville se placer comme femme de ménage chez le gouverneur militaire de la région de Saragosse. Là, son dévouement et sa discrétion lui valent vite du galon. La voici gouvernante de ce notable, royaliste violemment opposé au régime de Franco, un autre paradoxe espagnol.
C’est une jeune fille pimpante, mais cachant un profond dégoût des hommes, qui épouse finalement Antonio Altarriba Senior, le père de l’auteur. Lequel verra en sa mère une femme craintive et froide, meurtrie par un pays où le machisme sévit sans retenue, réfugiée dans la plus obtuse des ferveurs religieuses. Il devra attendre les derniers instants pour découvrir, sur le lit de mort de Petra, l’impossible secret de son aile brisée, écho déchirant au désir de voler contrarié de son mari, à partir duquel il retrace un portrait d’elle bien différent de celui qu’il imaginait.
«
Et votre mère ? », c'est en étant confronté à cette question lors d'une présentation de L'art de voler (album narrant la vie de son père) qu'Antonio Atlarriba décida de s'intéresser à Petra, l'autre pan de ses origines. L'aile brisée était né, avec toujours l'excellent Kim aux pinceaux. Sous couvert d'une biographique familiale, l'auteur dresse également un double portrait de l'Espagne du XXe siècle.
Premièrement, il s'agit d'une histoire féministe, celle des « niggers of the world » comme chantaient Yoko Ono et John Lennon. De ces citoyennes n'ayant que des devoirs et pas de droit, dont le rôle se limitait aux tâches ménagères. Le tout sous « l'indulgence» de l'Église catholique qui veillait au grain pour éviter toutes tentatives d'émancipation. Il faudra bien des années à Petra pour oser timidement égratigner quelques règles morales afin d'améliorer son quotidien.
Deuxièmement, alors que la trajectoire de son géniteur était marquée par son engagement auprès des Républicains, L'aile brisée permet à Atlarriba de montrer l'autre camp, celui des Nationalistes de Franco. En effet, avant de se marier, Petra travailla comme gouvernante auprès du Général Juan Bautista, un des pontes du régime. L'image qu'en dresse le scénariste s'avère passionnante et étonnante. Sous la poigne de fer du Caudillo, différents courants idéologiques se rencontrent et conspirent dans la peur. Le mélange parfaitement dosé des genres - anecdotes privées et enjeux nationaux - donne une véritable ampleur à l'ouvrage.
Compagnon indispensable de L'art de voler, L'aile brisée se lit comme un roman d'aventures aux multiples ressorts dramatiques, tout en proposant une réflexion historique sur la place des femmes en Espagne et, plus largement, dans toute la société d'avant et après Mai 68.
La preview
Les avis
pedrograto
Le 21/09/2024 à 15:31:25
Cet avis porte également sur "L'art de voler" , les deux livres étant absolument complémentaires .
Antonio Altarriba dresse, à travers l'histoire de ses parents, racontée dans chacun des livres , un portrait au vitriol de l'Espagne, et des Hommes en général. Deux destins tragiques, contradictoires et pourtant, comme le dit l'auteur dans la postface, similaires en de nombreux points. Deux êtres écrasés par la vie mais vivants, combatifs à leur manière.
Le dessin fait parfaitement le taf, restituant bien le mouvement et l'émotion, et ancre cette fresque dans nos têtes.
Un diptyque très riche à mon avis..
pokespagne
Le 15/08/2016 à 09:19:33
En dépit de sa renommée, "l'Art de Voler" ne m'avait finalement qu'à moitié convaincu, principalement à cause du dessin trop appliqué et comme "contraint" de Kim. Je réalise, en refermant cette "Aile Brisée" à la lecture un peu fastidieuse, que c'est surtout la forme de la narration choisie par Altarriba, ce flux continu, uniforme, de scènes, d'informations et même d'émotions, qui coule sans rupture, sans même un véritable remous - alors que certaines situations sont quand même excessivement brutales, voire impressionnantes - qui empêche une véritable adhésion du lecteur à cette chronique complexe de la vie d'une femme du peuple dans l'horreur fasciste, machiste, de l'Espagne de Franco. Le refus - car je ne pense pas qu'il s'agisse d'incapacité, "Moi, assassin" prouvant que Altarriba sait conter des histoires complexes et profondes - de jouer l'émotion, au bénéfice d'une sorte de neutralité cotonneuse, d'une rapidité du passage d'un drame à l'autre, d'une époque à l'autre, déréalise complètement les situations et bride tout véritable attachement à des personnages qui pourtant ne sont pas que symboliques - même s'ils le sont, d'une certaine manière. "L'Aile Brisée" manque de la plus élémentaire respiration, et du coup, il manque aussi de souffle, alors que s'y joue clairement le destin d'une femme et d'une nation, toutes deux asphyxiées par la chape de plomb d'une culture ignoble (car, sans racisme aucun, on ne dit pas assez combien la "culture traditionnelle espagnole" est rétrograde, profondément primitive et brutale) et d'un fascisme abject. Le meilleur du livre tient d'ailleurs dans ces hypothèses, atroces, sur le nettoyage politique effectué par les franquistes dans leurs propres rangs après (longtemps après) leur victoire, le récit possible d'événements que l'histoire officielle de l'Espagne fait toujours mine d'ignorer. Par contre, s'il y a un échec vraiment cuisant dans cette "Aile Brisée", c'est bien le fait que Altarriba n'arrive jamais à traiter ce qui devrait être le "trou noir" le plus vertigineux de l'histoire de sa mère, l'aveuglement de ses proches par rapport au handicap de celle-ci : il y avait là le plus beau sujet qui soit, mais l'auteur n'a visiblement pas su comment l'approcher, se contentant d'en faire un élément un peu anecdotique en début et fin du livre, alors que le plus grand mystère résidait sans doute là.