A
près une dernière tentative d’arrangement diplomatique, les Grecs accostent devant Troie qui célèbre dans la liesse le mariage de son prince héritier, Hector, avec Andromaque. La noce tourne court, tandis que les Achéens combattent les troupes d’un allié de Priam. Quand arrive la nuit, les forces grecques se sont assuré le contrôle de la plage malgré de nombreuses pertes. Les jours suivants, les batailles se succèdent, mais le manque de nourriture commence à se faire sentir dans le camp d’Agamemnon. Derrière les murs de Troie, l’angoisse pour les hommes et la haine envers le devin Calchas, passé aux Grecs, ne cessent d’augmenter, ce dont pâtit Cressida, la fille du traître, amante d'un des fils de Priam...
Il est des mythes profondément ancrés dans la mémoire collective, véhiculés qu’ils ont été (et le sont toujours) par l’apprentissage littéraire des textes originels anciens (en version intégrale ou édulcorée, peu importe) dans le secondaire, leur transcription à différentes époques sous des formes artistiques variées (la sculpture et la peinture en étant les supports privilégiés) toujours visibles, leur reprise dans la dramaturgie et le roman classiques comme modernes, leur popularisation, aujourd’hui encore, par le transfuge du cinéma ou … de la bande dessinée. La légende de la guerre de Troie est de ceux-là et appartient pleinement à la culture générale de l’Europe Occidentale. La traversée des siècles ne lui a rien ôté de son panache et la guerre entre Achéens et Troyens inspire toujours de nombreux auteurs ou réalisateurs, pour des résultats tantôt satisfaisants, tantôt pathétiques (rappelez-vous Troie de Wolfgang Petersen, quasiment comique à force de dénaturer le récit d’origine en voulant jouer la carte de l’Amérique moyenne bien-pensante…). La version offerte dans L’Âge de bronze par Eric Shanower fait, elle, figure de perle rare.
Maîtrisant son sujet et ses sources – Homère bien sûr, ainsi que bien d’autres moins connus -, l’auteur a choisi non seulement de replacer ce conflit dans son contexte historique, aux alentours de 1180 avant J.-C., mais également de le décortiquer dans sa totalité. Relations, parentés et filiations entre les protagonistes, aspects économiques et géostratégiques, retombées, proches ou lointaines, des actions quelquefois peu reluisantes des uns et des autres, rien n’est laissé au hasard, tout est montré, mentionné, intégré au récit pour le rendre le plus complet possible et en faire une grande fresque aussi précise et réaliste qu’incontournable. Le résultat est époustouflant, bien souvent exhaustif et à la mesure de la grandeur du mythe. Il importe alors assez peu que les interventions divines, assez intempestives dans les histoires d’origine, soient effacées, ou du moins ne prennent pas corps à proprement parler, afin d’être plutôt retranscrites de façon à laisser place à l’interprétation, abondant vers le surnaturel faute d’explication rationnelle, des acteurs eux-mêmes.
Forts du souvenir laissé par les premiers volets de cette série, les lecteurs ne peuvent que se réjouir, après trois longues années d’attente, de retrouver Achille, Ulysse, Hector, Pâris, Priam et Hélène dans cette seconde partie de Trahison. Ils se réjouiront d’autant plus qu’après de longs préparatifs et des tribulations l’ayant ralentie, l’immense armée achéenne accoste enfin sur les plages troyennes. Les combats, dont Shanower avait déjà donné un aperçu précédemment, peuvent enfin commencer. En la matière, le lectorat est comblé puisque duels et affrontements collectifs ne manquent pas de peupler et d’animer les pages. Cependant, ils sont précédés par le dénouement de la dernière mission diplomatique grecque, et entrecoupés par un certain nombre de conseils restreints dans chaque camp ainsi que par quelques idylles naissantes ou bien avancées. Tous ces moments ajoutent une dimension particulièrement humaine et crédible au propos.
Sans fioriture ni pudibonderie inutiles, l’auteur nous entraîne au cœur du champ de bataille, tentant – et y parvenant plutôt bien – à le rendre le plus crédible possible. Certaines scènes s’avèrent ainsi relativement dures, voire à la limite du supportable, comme cette rencontre pour le moins épique entre Achille et Cycnos, qui, au-delà des coups d’épée et de lance, vire à l’horreur lorsque le premier met à mort le second par des moyens plus… rustiques. L’impact de la guerre sur les familles n’est pas en reste, comme en témoignent deux séquences imprégnées d’une douleur palpable. Intelligemment construite et suivant un rythme bien cadencé, la narration ne s’enlise pas, après le premier gros engagement, dans une répétition indigeste. Au contraire, Shanower préfère célébrer cet épisode guerrier initial à la façon des aèdes de l’Antiquité, donnant ainsi l’impression d’assister en direct à la construction d’un mythe. Puis, au cours de quelques planches, il alterne savamment sur la même page combats se déroulant de jour et scènes se passant de nuit dans l’intimité d’une chambre, la solennité d’un conseil, la fraternité d’un rassemblement au coin du feu. Le résultat est très réussi et permet de ne pas s’ennuyer tout en soulignant la routine qui s’installe chez Achéens et Troyens alors même que le conflit bat son plein.
Au service de ce récit digne de l’épopée qu’il reprend, le trait d’Eric Shanower force une nouvelle fois l’admiration. En effet, s’il n’est pas toujours évident d’identifier tout de suite certains personnages – cela se joue souvent à d’infimes détails vestimentaires ou dans la coiffure -, le dessin est d’aussi bonne qualité que dans les albums précédents. Les affrontements sont superbement rendus – sueurs, blessures, aspect sale, sont bien présents -, bien qu’une légère tendance à virer quelquefois dans la caricature puisse être moins appréciable. De même, le réalisme et la précision du graphisme enchantent-ils et font-ils assez facilement oublier un nouveau changement de format ainsi que quelques fautes d’orthographes grossières ou cette case restée en anglais…
La deuxième partie de Trahison confirme les qualités d'une série qui s'inscrit durablement dans l'excellence.
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Les avis
Levant
Le 17/01/2012 à 11:51:20
Les combats pour Troie ont enfin commencés!
(Seul reproche à faire et encore, c'est qu'il y a beaucoup de détails et l'histoire progresse lentement).
Sinon le scénario est pationnant et les dessins sublimes.