Le 18/09/2025 à 08:13:58
Cela faisait plus de trois ans qu’on l’attendait, ce deuxième tome du diptyque « post-apocalyptique » de Benjamin Flao. Et on peut l’affirmer sans se tromper, notre attente se voit largement récompensée ! Son récit se lit comme une sorte de rêve éveillé, entre réalisme d’un contexte d’ « effondrement » du monde civilisé et digressions oniriques nous ramenant vers des temps immémoriaux où toutes les formes de vie étaient connectées. Comme pour le premier volet, ce nouveau chapitre de « L’Âge d’eau » doit se lire en se laissant porter, par les vagues peut-être, à la façon de Bruno, ce jeune homme « atypique » dérivant sur sa bouée, confondant son imagination avec la réalité… Et quand on dit « post-apocalyptique », on est loin du récit de science-fiction habituel, souvent anxiogène, où le sort de l’humanité semble définitivement compromis, bien au contraire, et c’est cela qui est rafraichissant. L’ « effondrement » est vu ici comme une planche de salut, l’occasion pour l’être humain, aveuglé par sa toute puissance technologique, de remettre en quelque sorte les pendules à l’heure. De se reconnecter au monde qui l’entoure, aux éléments naturels, de pratiquer une vraie connexion en échange de celle, illusoire et artificielle, de nos gadgets hypersophistiqués qui font de nous des techno-magiciens captifs, paresseux et gloutons (en ressources…). Pour apprécier de nouveau toute la beauté du monde, dont nos écrans ne montrent que de pâles reflets. Attention, qu’on ne se méprenne pas. Flao ne cherche pas ici à donner des leçons d’écologie. Il s’efforce plutôt de nous laisser entrevoir avec poésie la beauté d’un retour aux sources, et parfois non sans humour, cet humour qui permet de tout dire sans fâcher ou déclencher de polémiques stériles. On se souviendra avec jubilation de quelques scènes très cocasses, notamment avec Jeannes, qui saura accueillir comme il se doit les gendarmes venus la chercher pour la mettre dans un endroit « plus salubre », pour son « bien ». Notre sympathique « sorcière », un brin espiègle, va ainsi propulser ses « sauveteurs » dans des sphères élevées voire fantasques, grâce à un breuvage de sa composition… et certains d’entre eux ne s’en remettront pas ! Mais ce n’était que… pour leur bien ! Graphiquement, Benjamin Flao adopte des styles toujours assez variés. Parfois au bord de l’esquisse, son trait évolue vers un aquarellage de toute beauté pour accompagner les états d’âme du fameux chien bleu, « symbole de l’animalité spiritualisée ». Il y aussi cette séquences des funérailles de XXX, absolument splendide, qui pourra évoquer à certains « Le Temps des gitans » de Goran Bregovic. Cette galerie de personnages au look de zadistes mal léchés, qui sont à leur façon des héros du quotidien, permet à l’auteur de questionner la normalité, d’abord à travers Gorza, le frère muet de Hans, qui malgré ses airs simplets, s’avère doté de « superpouvoirs », notamment celui de dialoguer avec les créatures marines en restant de longs moments en apnée, ou encore Bruno, pour qui le kif ultime est de se laisser dériver sur son énorme bouée. Des êtres qui voient le monde sous une toute autre perspective, à l’opposé de ceux qui se prétendent rationnels et engoncés dans leurs certitudes… « L’Âge d’eau », vous ne vous en rendrez pas forcément compte immédiatement, est un livre magique, qui pourrait bien vous habiter longtemps après lecture. La question soulevée par ce récit n’est plus de savoir quand l’effondrement aura lieu, mais sous quelle forme. Benjamin Flao nous donne ici des raisons de ne pas complètement désespérer en transcendant cette crainte propre à beaucoup d’entre nous de perdre notre petit confort dans les catastrophes à venir. Il nous fait entrevoir d’autres pistes que le chacun pour soi ou la barbarie (ou les deux en même temps). L’esprit de solidarité et le respect du vivant, gouvernés par la bienveillance, sans arrière-pensées, seront à n’en pas douter la seule issue pour éviter à l’humanité de sombrer définitivement… Utopiste, Benjamin Flao ? Les cyniques le penseront probablement. Mais ce dernier, utopiste nuancé et poète, a trouvé la parade avec la conclusion (géniale trouvaille !) faisant de cet épisode une histoire sans fin… Et si tout cela n’était qu’un « drôle de rêve » ? Quoique l’on en pense, cette magnifique bande dessinée diffuse de très belles choses dans les cœurs et les âmes, faisant en quelque sorte de l’auteur de « Kililana Song » le marabout du neuvième art. D’ores et déjà un must de l’année 2025.BDGest 2014 - Tous droits réservés