Résumé: Zelig et Zelig père, deux juifs polonais, ont réussi à sauter du train qui les emmenait vers un camp de concentration. Ils marchent dans la campagne à l'aveuglette tant le brouillard est épais. Une fois celui-ci dissipé, ils s'aperçoivent qu'ils se sont jetés dans la gueule du loup, à savoir une unité allemande. Cette étrange garnison est commandée par un nabot à chapeau pointu qui manie l'humour et le second degré.
Z
elig junior se souvient…un épisode un peu flou mais bien présent dans sa mémoire. Cela se passe en Pologne lors de la Seconde Guerre Mondiale. Accompagné de son père, il s’évade du train qui les conduisait vers une mort certaine. Fugitifs en terres envahies, facilement repérables puisque ressemblant à des sauriens, le brouillard se révèlera autant un atout qu’un traître. Aux détours d’un chemin, ils tombent sur une patrouille allemande dirigée par un étrange commandant aux allures de magicien grotesque et rien ne va se passer comme on pourrait s’y attendre...
Une lecture rapide peut laisser l’image d’un album sombre et triste aux accents tragiques mais cela serait une grave erreur car quelle ironie ! Quelle inventivité graphique !
Tout au long de l’album, Gawronkiewicz exploite toutes les potentialités de la page. Cette inventivité est particulièrement flagrante dans l’unique scène d’action et dans sa préparation. La tension monte crescendo sur une planche 4 x 4 cases où le regard se porte tour à tour sur les visages et sur la nature environnante. Elle est maintenue avec un découpage plus classique et atteint son paroxysme sur une double page où le silence précédant l’attaque transparaît jusqu’à nous mettre mal à l’aise. Puis vient l’embuscade proprement dite où tous les codes volent en éclats : les mouvements sont dès lors décomposés dans la même case, les opposants sont positionnés sur un plan schématique façon « wargames » et l’attaque ressemble à une figure des manuels scolaires du début du XXème siècle. C’est tout simplement jubilatoire !
Le propos l’est tout autant puisque empreint d’un détachement humoristique que seule la génération post-holocauste pouvait avoir. C’est à la fois drôle et haletant avec en toile de fond un des grands drames de l’Humanité. Bien sûr, cela n’a pas la valeur documentaire de Maus ou le poignant désespoir de Yossel, 19 avril 1943 car les auteurs ont décidé de ne nous narrer que le prologue de ce qui fut un long et tragique voyage pour ses deux protagonistes. Il est d’ailleurs fait mention dans la postface de l’existence d’un synopsis pour la suite mais sauront-ils garder cette ironie face aux éléments concrets de cette tragédie ?
Le traitement qu’ils font de ce sujet nous prouve qu’avec le temps, on peut (« …et on doit ! » comme l’a si bien dit le regretté P. Desproges) sourire de tout et que la dédramatisation d’un conflit est la seule manière d’éliminer toute rancoeur et d’avancer main dans la main avec ses ennemis d’hier. Une des grandes originalités de cet album est finalement de suggérer plus que de démontrer mais c’est également un de ses points faibles car à force de se cacher derrière les métaphores, on finit par rendre inaccessible le récit à ceux qui n’ont pas les clefs.
Les avis
crapator
Le 26/09/2005 à 13:41:44
Et bien disons qu'à la lecture de cet album, mon impression personnelle n'est pas bien définie dans le sens où, comme cela a été dit avant moi, mêler l'absurde au tragique reste déroutant à première vue pour une personne n'ayant connu cette époque noire que par ouï-dire.
Toutefois, je trouve que la tolérance et la compassion sont les maîtres-mots des saveurs qui me restent à la bouche à la suite de cette lecture. Le principe d'autodétermination est ici également intiment lié à celui de la réflexion, de la volonté personnelle et du passage à l'acte. Quant à mes neurones, ils reviennent sur terre au même titre que les deux protagonistes, Zelig et Zelig senior lors d'un final qui permet au lecteur de retrouver les balises d'une lecture plus conventionnelle.
Ici prônent l'esthétisme, les notions de différence et de tolérance sur celles d'un monde en mal de repères que je vous les laisse imaginer. Ici prime grandeur, et non décadence.
Une lecture à réserver à un public averti et prompt à continuer sa propre réflexion sur le thème abordé par l'album.