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abiles Cro-Magnons lascautois, facétieux enlumineurs tonsurés ou patientes brodeuses bajocasses, des traces de l'origine de la bande dessinée ont été décelées à maintes reprises à travers l'Histoire. Faute d'une réelle définition, cette chasse au petit Mickey primordial est restée quelque peu vaine. Car la BD, médium liant dessin et texte, est un art difficile à cerner, tant elle accueille en son sein d'approches narratives variées (format, pagination, etc.). Néanmoins, un nom ressort des différentes études sur le sujet : Rodolphe Töpffer. Cet instituteur de la première moitié du XIXe siècle est l'auteur de plusieurs récits burlesques en images. Pas encore tout à fait de la bande dessinée au sens moderne, mais clairement déjà une narration séquentielle totalement inédite pour son époque.
Dans M. Töpffer invente la bande dessinée, Thierry Groensteen propose une réponse convaincante et détaillée sur la place centrale du Genevois dans la genèse du 9e Art. Des dessinateurs anglais comme William Hogarth ou Thomas Rowlandson avaient déjà publié des contes ressemblant fortement à de la proto-BD dans le courant du XVIIIe siècle. Ces œuvres, composées de saynètes allégoriques autonomes, représentent certainement un jalon important, Töpffer les cite d'ailleurs comme une influence. Par contre, celles-ci sont encore trop proches de la peinture illustrative pour vraiment marquer le commencement d'un nouveau genre.
À l'inverse, comme le démontre Groensteen, M. Jabot, M. Vieux Bois ou le Dr Festus innovent réellement. Sur la forme d'abord, l'artiste découpe l'action en une succession de cases et fait preuve d'invention au niveau de la mise en scène et du découpage. Les personnages sont vivants, « bougent », au lieu d'être statiques dans de grandes compositions. Sur le fond ensuite, dès leur publication, les albums ont connu un succès retentissant et ont influencé de nombreux suiveurs et imitateurs. De plus, en bon pédagogue, Töpffer a intellectualisé son travail en rédigeant différents articles expliquant son approche. Ces textes, plus particulièrement L'essai de physiognomonie (reproduit en fac-similé en fin d'ouvrage), montrent à quel point le créateur de M. Pencil avait compris la force potentielle de ce qu'il appelait des histoires en estampes.
M. Töpffer invente la bande dessinée, par sa rigueur et sa richesse, est passionnant. Un livre indispensable pour tout bédéphile curieux des origines de sa passion.