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i>22 mai 1968, 3 heures de l'après-midi…
Le printemps qui refleurit fait transpirer le macadam.
Sur l'autoroute de l'Ouest, un séminariste à moto, j'ai bien dit à moto
Roule à toute allure vers un point non défini.
Sur le porte-bagages, le Saint-Esprit qui jusque-là était resté bien sagement assis
Se coince soudain l'aile gauche, dans les rayons de la roue arrière.
Ah ! Ah ! Ah !
Le séminariste perd le contrôle de sa motocyclette
Et vient percuter de plein fouetttt
Un pylône garé en stationnement illicite sur le bas-côté de l'autoroute.
A ce même moment un Chinois de Hambourg déguisé en touriste américain,
Au volant d'un cabriolet de 22 chevaux immatriculé en Espagne
Se dit qu'il lui faut porter secours à ce séminariste.
Mais bientôt cette idée lui paraît ridicule, étant donné :
Petit a : qu'il ne roule pas sur la même autoroute.
Petit b : qu'il n'est pas au courant de cet accident.
Et ce fut sans doute l'événement le plus important de ce mois de mai !
Ainsi chantait Hubert-Félix Thiefaine en 1978.
A croire que le couple Grange/Tardi n'a pas la même vision sarcastique de mai 68. Dominique Grange a la voix grave et Jacques Tardi a le crayon rageur. Tous les deux trempent leur plume dans le sang rouge de l'esprit de révolution qui anima le monde ouvrier à la fin des années soixante. 1968 – 2008... n'effacez pas nos traces n'est pas un souvenir nostalgique d'une révolte estudiantine sentant bon le pouvoir des fleurs et l'émancipation post-adolescente. C'est un témoignage sur les travailleurs qui ont cru, l'espace d'un instant, d'un instant seulement, que tout était possible et que l'exploitation de l'homme par l'homme allait enfin prendre fin. Avoir été de ce combat au quotidien rend Dominique Grangé plus légitime que tout autre pour conter ces exploits éphémères.
Douce illusion que cette révolution, le ton de la voix laisse d'ailleurs parfois entrevoir une pointe de regret. Le gouvernement vacillera puis finira par tomber et l'espoir du changement sombrera dans l'oubli d'un souvenir romantique et idéaliste réduit à un simple conflit de génération. Mai 68 est trop souvent présenté comme le point de départ d'une certaine libération des esprits initiée par une jeunesse en mal de reconnaissance, avec le pavé dans la gueule du CRS comme unique symbole. Ce printemps-là ne s'est pas résumé à quelques fumigènes dans les rues d'un quartier parisien devenu depuis l'emblème bobo par excellence. Les deux millions de grévistes de la France entière qui ont perdu plusieurs semaines de salaire et parfois même la vie, dans une lutte qui n'a abouti "qu'aux" accords de Grenelle, ont vite été oubliés. C'est ce mai 68 là dont parlent les auteurs.
Les textes sont un hommage à celles et ceux qui ont défié l'ordre établi et ont réveillé une conscience populaire en sommeil depuis 1936. Les années de guerre et de reconstruction matinées "30 glorieuses" avaient anesthésié la populace. Le temps du patronat tout puissant aurait pu être de nouveau révolu. Mais voilà, ce mouvement n'aura duré qu'à peine le temps de fredonner quelques rengaines bien connues. Heureusement, il reste ce témoignage intemporel, sonore et visuel. Le ton de la voix ne trompe pas : il est nostalgique et amer, comme peut lêtre celui de l'échec. Entre Juliette Greco et Léo Ferré, Dominique Grangé chante 68 mais aussi la Commune, le droit d'asile, l'isolement, les tortionnaires politiques d'hier et d'aujourd'hui du monde entier, etc.
Le dessin de Tardi est sans concession. Clichés instantanés, témoins des combats de rue ou d'occupations d'usine, tableaux vivants se focalisant sur l'expressivité des acteurs et le désespoir des regards. C'est à coup sûr le partenaire idéal pour la mise en image de chansons hautes en couleur et qui sentent bon la mémoire collective qui se doit d'être indélébile.
Ne liquidons pas "tout" 68 !
>>> Visitez le blog de Dominique Grangé
Les avis
DCJNM
Le 19/03/2022 à 18:35:55
Nous avons désormais passé le cap du cinquantième anniversaire, mais déjà en 2008 Dominique GRANGE (en chansons) et Jacques TARDI (en dessins) nous interpellaient sur la mémoire de la Révolution afin qu’on n’oublie pas les combats pour la liberté et contre l’oppression des peuples. 1968 et son joli mois de mai étant le symbole toujours vivant et à préserver de cet état d’esprit, de la révolte et de l’espoir en un monde forcément meilleur et plus juste. C’est en sens qu’il ne faut pas effacer nos traces. Et toujours se souvenir comme avec ce très beau texte magnifiquement illustré sur le Chili de Pinochet : … « À ces gamins privés d’espoir / Petits fantômes, le cœur en grève / À qui nul ne disait « bonsoir » / « Comment tu vas ? », « à quoi tu rêves » …
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