Résumé: "Cet ouvrage se conçoit comme un zoom ascendant sur Tintin et son créateur. Point commun à ces contributions : c’est sur les sommets du Tibet que l’oeuvre du dessinateur belge atteint son apogée. C’est sur le toit du monde que Tintin, l’homme qui monte, délivre Georges Remi d’une partie de ses angoisses avant de redescendre, apaisé, vers une vie plus sereine avec sa « famille ». L’objectif non avoué du jeune reporter, parfois comparé à un héros christique, n’aurait-il pas été d’accompagner son démiurge dans une quête spirituelle qui serait la face cachée de ses aventures ? D’un point de vue plus temporel, tout lecteur est invité à vérifier que les 24 albums, entre cimes et abîmes, de l’Himalaya aux Andes et à la Suisse, sont animés d’un mouvement essentiellement vertical, mouvement pouvant se lire de bas en haut ou de haut en bas."
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i]Hergé au sommet rassemble quatre essais à propos de l’auteur des aventures de Tintin ayant rapport, directement ou métaphoriquement, avec la montagne ou les ascensions. Il y est évidemment question de Tintin au Tibet, mais pas seulement. En effet, Bertrand Portevin et Cyrille Mozgovine tentent d’extraire (souvent de force) des interprétations mystiques (via le tarot, le christianisme, etc.) des couvertures et des vignettes du corpus. Pourquoi pas. Par contre, tout stimulants intellectuellement qu’ils peuvent être, ces exercices se révèlent tellement tirés par les cheveux qu’ils finissent plutôt par faire sourire qu’autre chose. Ceux-ci soulignent, au-delà de quelques coïncidences amusantes, l’absurdité de vouloir coller à tout prix une grille de lecture spécifique ou restreinte à une œuvre florissante. D’ailleurs, les deux exégètes sont pleinement conscients des limites de leurs réflexions et évitent finalement à donner plus de poids que nécessaire à leurs «trouvailles».
Heureusement, les textes de Benoît Grimopont et Patrice Guérin sur Tintin au Tibet et, surtout, l’excellent exposé de Jean Rime sur les liens qu’Hergé a entretenus avec la Suisse tout au long de sa vie s’avèrent nettement plus intéressants. Les premiers s’attardent sur la genèse difficile et libératoire du vingtième album du reporter à la houppe en décryptant méticuleusement les différents aspects sous-jacents de sa création. Pour rappel, suite à une grave crise existentielle provoquée par son divorce, le Tibet avait servi d’exutoire inconscient à Hergé. Très bien amené et argumenté, ce chapitre n’offre rien de véritablement nouveau, mais forme une synthèse des plus convaincantes sur cette époque clef dans l’évolution tant personnelle que créatrice de l’artiste.
Pièce de résistance de l’ouvrage, L’imaginaire helvétique d’Hergé présente et met en perspective le rôle que la Suisse a pu jouer sur le maître de la Ligne claire. Expéditions scoutes dans les années vingt, refuge pour l’homme meurtri par les conséquences de la guerre, jardin secret de la star étouffée par sa création et ultime havre de paix au moment où la maladie prenait le dessus, chaque «visite» est passée en revue et minutieusement décortiquée dans l’optique de l’œuvre (outre L’affaire Tournesol, de nombreux petits «morceaux» de la Confédération se retrouvent ici et là au fil des tomes). Des photos rares particulièrement parlantes accompagnent et renforcent cette analyse très fine de ces étapes importantes dans le cheminement d’Hergé.
Et non, même avec plus de cinq cents références consacrée à Tintin, il y a encore du nouveau à exhumer ou à imaginer ! Hergé au sommet apporte sa pierre à l’édifice et démontre une fois de plus la place spéciale que le petit monde de Moulinsart occupe au centre du Neuvième Art.