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ntre 1945 et 1954, René Goscinny a habité à New York. Comme tout bon émigrant, il a tenté sa chance pour vivre le rêve américain. Débarqué de Buenos Aires où il avait passé son enfance, sa famille s’était installée dans la Grande Pomme à la suite du décès de son père. Après quelques mois nécessaires afin de trouver ses marques et réaliser qu’il n’était pas fait pour la vie d’employé de bureau, René décide de se prendre en main et d’aller cogner chez les éditeurs de la place avec un «book» sous le bras. Le succès fut tout relatif, mais lui permit de faire connaissance d’une bande de débutants appelés à devenir célèbres (Harvey Kurtzman, Jack Davis, Will Elder, etc.). La vache enragée a un meilleur goût si elle est partagée avec des amis. À défaut de dollars, il rigolera bien et, mine de rien, commença à apprendre le métier de raconteur. Autre évènement essentiel, il croise la route de Jijé et Morris, alors au début de leur légendaire équipée américaine. Discussions, recommandations, échanges d’idées et une certaine lassitude font que Goscinny se décide finalement de retraverser l’Atlantique et d’aller toquer à la porte de Georges Troisfontaines, le patron de la World press où un certain Albert Uderzo travaille déjà, mais ceci est une autre histoire.
Essai biographique et analytique, Goscinny à New York revient sur ces années cruciales pour le créateur d’Astérix. Il faut bien avoir à l’esprit qu'au moment où il débarque à New York, Goscinny n’a que dix-neuf ans et, à part quelques rêves de devenir artiste, il a encore tout à découvrir de la vie. Les mois à venir vont se révéler capitaux pour le jeune homme. Tentant d’appréhender cette situation, Clément Lemoine se fait d’abord historien et retrace méticuleusement les allées et venues du papa du Petit Nicolas. Cette première partie permet de mieux comprendre la réalité et les difficultés quotidiennes du nouvel arrivé. Celles-ci sont importantes, car elles le marqueront à jamais et lui serviront, une fois tournée en dérision, à nourrir de futurs scénarios.
Dans la seconde partie de l’ouvrage, le biographe se fait professeur de littérature et soumet la bibliographie du rédacteur en chef de Pilote à une fine grille de lecture pour y déceler des influences américaines. Elles sont innombrables et diverses. Outre les nombreux stéréotypes (les indiens, les gangsters, etc.), ces dernières se retrouvent également dans la construction des gags (le rythme tout particulièrement). New York n’a évidemment pas fait Goscinny, son immense talent puise ses sources au sein d’une multitude d’autres origines. Cependant, les rencontres et les multiples projets datant de cette période ont permis à l’écrivain de poser et structurer sa pensée et ses méthodes de travail. Ces années s’avèrent donc fondamentales pour la genèse d’une œuvre unique dans le monde de la bande dessinée.
Riche, fouillé, intelligent et très bien écrit, Goscinny à New York est un livre indispensable à tous les bédéphiles curieux de connaître les dessous d’une des carrières les plus marquantes du Neuvième Art, tout continent confondu.