Résumé: Gustave Glarous, un petit homme énergique dont le regard disparaît derrière d'immenses lunettes et que la chance a abandonné, décide sur le tard de rompre avec la médiocrité et de faire fortune en suivant les préceptes d'une idéologie marketing moderne, performante et efficace. Sans rien comprendre à ces nouvelles théories, Gustave entraîne son fils Steve (une grande larve sans énergie, du genre à hésiter entre piocher dans son cornet de pop-corn ou son paquet de réglisses) dans la création d'un concept commercial aberrant, n'offrant pas la moindre chance de réussite : la contre-proposition. Surprise et décalage en sont les maîtres mots. Des affichettes bourrées de fautes d'orthographes indiquent de manière illisible des offres et des prix incohérents : le raisin se vend au grain, la pastèque par lots de trois, et les nèfles sont mis en avant sous l'intitulé : le produit roi ! Aveuglé par son discours, Gustave s'enfonce avec son fils dans la plus sinistre incompétence, avant de découvrir l'orgue de Barbarie, une machine à rêves extraordinaire, ancêtre de nos casques virtuels.
L
es trois Grâces, tout de couleurs vêtues sous leurs oreilles pointues... elles essaient tant bien que mal de construire une machine révolutionnaire pour leur frère Le Truand.
Le Truand, assis dans son fauteuil d'infirme, s'élève à défaut de se lever... plutôt par la poésie que par la force physique qu'il laisse à son bras-droit Maurice.
Maurice aime son métier avec la passion de l'artisan... une passion mise à mal par la boîte à rêves de son patron, héritée de l'infortuné Gustave.
Gustave n'est rien mais il voudrait tout être, il n'a rien mais il voudrait tout avoir... quel dommage, se dit-il, que son esprit d'entreprise ne trouve pas écho dans celui de son fils Steve.
Steve est jeune et a l'avenir devant lui, mais son père à ses côtés... voilà qui n'aide pas à réaliser sa plus grande ambition : tomber amoureux, et pourquoi pas de la belle Bénédicte.
Bénédicte, tout en rondeurs, livre des prothèses en furetant sur sa mobylette... peut-être n'aurait-elle jamais quitté sa vie de misère si parmi ses clients elle ne comptait les trois Grâces.
Autant de personnages que rien ne rassemble a priori mais qui se rencontreront pourtant autour d'un objet pour le moins insolite : un orgue de Barbarie. Celui-ci a la particularité de faire miroiter un monde différent du nôtre, ou plutôt de modeler la réalité à l'image de nos rêves les plus fous. Une "machine à poésie" qui peut jouer bien des tours, aux faibles d'esprit comme aux autres...
Peu de temps après Période glaciaire et Journal d'un fantôme, Nicolas de Crécy nous revient, non pas avec une nouvelle bande dessinée, mais avec un scénario de film d'animation. Les textes, écrits par l'auteur avec l'aide de Raphaël Meltz, s'accompagnent d'illustrations en cinémascope. Loin d'être de simples ébauches, celles-ci sont parfaitement abouties et donnent un avant-goût tout à fait délectable de ce qu'on devrait voir à l'écran. Elles prouvent également, si besoin était, que Nicolas de Crécy n'a pas son pareil pour instaurer une ambiance qui continue à nous habiter une fois le livre refermé.
Au premier coup d'oeil, l'univers de L'orgue de Barbarie a en effet quelque chose de typiquement "de crécien", à commencer par un titre intrigant comme il sait les choisir (on se souviendra encore longtemps de son Bibendum céleste). Le monde merveilleux de l'auteur se pare donc de ses atours habituels, avec son dessin inimitable, ses couleurs franches, ses gueules bien senties et surtout ses personnages à nul autre pareil. Le tout dans une atmosphère fantasmagorique où l'absurde est roi... surréaliste et pourtant si proche de nous.
Là est toute la force de ce grand créateur, qui a fait de son cabinet d'orgue un véritable cabinet de curiosités, et peut-être le film lui permettra-t-il de s'ouvrir à un nouveau public. Quant aux admirateurs de longue date, nul doute qu'ils se sont déjà précipités sur cet ouvrage remarquable qui leur est spécifiquement destiné.