T
out le monde ou presque connaît, ne serait-ce que de nom, Pif le chien ou Placid et Muzo, ces sympathiques héros furent pendant des décennies des stars de la BD populaire. La notoriété de Pif, en particulier, fut telle que le magazine Vaillant, où ces aventures étaient publiées, changea de nom pour prendre comme titre le patronyme de la création la plus célèbre de José Cabrero Arnal (1909-1982). Contrairement à Hergé, Goscinny et Uderzo, l'Espagnol est toujours resté un quasi-inconnu aux yeux du grand public. Philippe Guillen propose, avec cet ouvrage, de changer cette situation.
La vie de José Cabrero Arnal peut se résumer en trois parties distinctes (jeunesse insouciante, la guerre, l'épopée de Pif). « L'aventure » commence avec sa jeunesse à Barcelone dans les années 30 et le début d'une carrière très prometteuse. Autodidacte, la qualité de son travail lui permet de se tailler une place remarquée dans le petit monde de l'édition. Il bénéficie de l'atmosphère d'ouverture de la Deuxième République Espagnole qui voit la multiplication des publications de tout genre. Caricaturiste très recherché, il se taille également une réputation dans les illustrés pour enfant, avec déjà des héros anthropomorphiques tout en rondeurs. La situation ne va malheureusement pas durer.
La guerre civile sonne le glas de cette carrière qui commence. Engagé du côté des Républicains, Arnal doit se réfugier en France après la victoire de Franco. Il y connait les affres des camps de concentrations, français d'abord puis nazis par la suite, lors de la Seconde Guerre Mondiale. Après avoir survécu à de terribles épreuves (dont un long séjour dans le sinistre camp de Mathausen), il doit encore affronter l'administration française qui lui refuse, jusqu'à sa mort, la naturalisation.
Après sa libération, grâce à son talent et à ses contacts dans la diaspora espagnole, il intègre l'équipe du journal Vaillant, un des principaux magazines jeunesses de l'après-guerre. Il deviendra rapidement la « star » du journal avec ses créations les plus connues (Pif le chien, Hercule, Placid et Muzo, etc.). D'une santé fragile héritée des privations de la guerre, il laisse, après quelques années, d'autres dessinateurs reprendre ses héros, tout en restant un mentor attentif pour une nouvelle génération d'artistes.
L'ouvrage de Philippe Guillen, riche de documents iconographiques rares, se concentre avant tout sur l'homme et son époque. Historien de formation, l'auteur décrit avec beaucoup de précisions la période de la Guerre Civile Espagnole et le triste devenir des combattants républicains lors de leur exile en France. Le bédéphile reste néanmoins un peu sur sa faim à cause du manque d'éléments à propos de son art préféré (pas de bibliographie, ni de commentaires critiques sur les œuvres d'Arnal par exemple). Pour ces aspects, le déjà ancien, mais toujours d'actualité, Une vie de Pif reste indispensable pour les amateurs qui aimeraient creuser un peu plus le sujet. Malgré ce bémol, cette biographie apporte un éclairage bienvenu sur cet auteur important.