C
e soir-là, le pauvre Bouffi n'aurait pas dû acheter son massepain au distributeur. Poursuivi par deux hommes étrangement vêtus qui en veulent à sa pâtisserie, il finira par se voir accusé d’être tout à la fois voleur d'oies et dealer de drogue. Ses amis et lui seront endormis et kidnappés, ainsi d'ailleurs que les deux policiers légendaires de la série. Le Grand Suprême tire les ficelles d'un minable complot : droguer ses fidèles et les délester de leurs biens en flattant leur vanité et en exploitant leurs faiblesses. Mais qui sont réellement le Grand Suprême et son bras droit ?
Autant vous prévenir tout de suite, ça faisait longtemps que je n’avais plus ouvert un 4 As et le dernier de ma collection était un album de 1979 ! Ainsi, lorsque l'opportunité de chroniquer cet album s'est présentée, je me suis dit que c’était là une bonne occasion de voir comment cette sympathique série, érigée en mythe du 9ème art, avait évolué dans le temps. Autant vous l’avouer tout de suite, j’aurais mieux fait de m’abstenir ce jour-là.
Car de la série originelle, il ne reste malheureusement plus grand chose. Tout d’abord, l’intrigue est insignifiante. Vous me rétorquerez que la qualité des intrigues n’a jamais été un des forts de la série et que celles-ci servaient surtout de support aux pitreries des personnages et aux nombreux gags à répétition. Là, vous marquez un point.
Mais là où le bât blesse, c’est que ces fameux gags, qui parfois arrachaient un sourire au lecteur, ont complètement disparu. Ainsi, Doc ne cite plus ses auteurs classiques favoris ni ne résout des problèmes alambiqués. Dina ne pousse plus ses cris stridents et ne se jette plus dans les bras de Doc pour un oui ou pour un non. De plus, ses altercations avec Lastic sont complètement passées à la trappe. Ce dernier n’invente plus rien, ne dit plus son légendaire Diablevert et ne se retrouve plus coincé dans des situations loufoques. Bouffi, bien que se jetant toujours sur tout ce qui se mange, n’est plus le colérique sympathique que l’on connaissait : ses colères lorsqu’il a faim sont à des années lumières de celle, par exemple, de l'abum Le Picasso volé (fi fi, il faut qu’il fe calme ! Vous vous souvenez ?) Bref, tout ce qui faisait le charme (désuet, je l’avoue) de la série a disparu. De plus, François Craenhals a eu la bonne idée de rajouter une armée de fantômes et de diablotins afin d’aider les 4 As. Pour peu, on se croirait dans un mauvais Bob et Bobette.
Venons-en au dessin. Ici aussi, vous pourriez me dire que la série n’a jamais brillé par la qualité de son dessin. C’est vrai mais celui-ci, certes simple, était soigné, constant et net. Bref, un pur produit de la ligne claire. Craenhals aurait mieux fait de rester à ses pinceaux: le dessin de de Debruyne fait tout simplement mal aux yeux et en plus, de nombreuses approximations graphiques jalonnent le récit. L’emploi exagéré de gros plans et de plans à l’Américaine (encore une différence avec les premiers albums) ne fait que renforcer cette impression de travail bâclé.
Bref, vous l’aurez compris, les effets de l'abandon de la série par de Georges Chaulet se font cruellement sentir et cet album n’a plus grand chose à voir avec la série originelle. Si vous n’en étiez pas un fan, cela ne vous fera ni chaud ni froid mais si, comme moi, vous appréciiez la lecture de cette naïve et sympathique série, je ne vous conseillerai qu’une chose : garder vos vieux albums et les relire en boucle car cette série est définitivement morte.
Quantum mutatus ab illo !* aurait dit notre ami Doc.