Le 04/11/2024 à 23:48:39
Passée très inaperçue lors de sa sortie le 10 octobre 2023, voilà une série qui mérite de sortir de l'ombre ! Sur conseil d'un bon ami et à l'occasion de la sortie du deuxième tome de ce diptyque, je me suis plongé dans cette lecture, et bien m'en a pris. J'ai ainsi découvert une œuvre forte, au concept ultrapuissant, et au thème très profond. Je ne m'attaquerai qu'à une chose : la traduction. N'étant pas en mesure de lire la version originale italienne, je ne peux pas juger de la qualité d'écriture des dialogues, mais dans la version française, ils manquent souvent de fluidité, et je pense vraiment que c'est dû à une traduction parfois approximative. Le problème est que cette traduction nuit régulièrement à la qualité de la lecture (la mienne, en tous cas), quand notre cerveau est obligé de faire disparaître une faute d'orthographe ou de restaurer le mot/l'expression traduite trop littéralement alors qu'elle a son équivalent en français. C'est vraiment dommage... mais pas irrémédiable ! En effet, ça ne m'a pas empêché d'entrer à fond dans l'univers proposé par Paola Barbato et Mattia Surroz. Ils nous plongent ici dans un monde qui a toutes les apparences du nôtre, à une exception près : ici, la mort de tous est programmée dès notre naissance. Chacun a dans son ADN la date précise de sa fin de vie, mais tout le monde l'ignore. On sait juste qu'il y a 6 échéances possibles (l'incertitude de la dernière échéance étant garantie par le fait que certains ont le droit de vivre au-delà), à l'approche desquelles on prépare avec joie ses funérailles, au cas où, en espérant que nos proches n'auront pas à les célébrer... Grâce à une habile propagande visant à normaliser la mort et à la quasi-certitude de ne pas mourir en dehors de ces 6 échéances, la société vit beaucoup plus heureuse. La délinquance et la criminalité ont été éradiquées, et tous les risques sont bannis de notre quotidien. Bref, tout ressemble à notre monde, mais dans une version idéale. Sauf qu'on sent vite que quelque chose ne tourne pas rond... Les auteurs ont un talent phénoménal pour nous faire découvrir peu à peu les différences avec notre monde au gré de la lecture (un objet que tout le monde porte, par exemple, mais qu'on ne remarque même pas dans les premières pages du récit...) et qui sont lourdes de sens. Sans que jamais la bande dessinée ne prenne un tour excessivement philosophique ou trop démonstratif, les auteurs réussissent à créer une réflexion très forte sur l'étouffement causé par une société sans risques, sans peur, sans violence et sans mort imprévue. On comprend vite qu'une telle société ne signifie pas le bonheur assuré, mais le récit sait pousser son concept dans ses retranchements pour en tirer une vraie vision d'anticipation. Car c'est bien ce dont il s'agit : on est ici dans un sous-genre bien connu de la science-fiction, celui de l'anticipation, et les auteurs maîtrisent à merveille les codes du genre. Le portrait d'une société qui nous paraît absurde et qui, pourtant, n'est que l'exagération de certains traits caractéristiques de la nôtre, est joliment mis en place. A travers le portrait d'une bande de parias qui veulent réintroduire dans leur monde l'incertitude du hasard, "10 octobre" nous interroge directement sur notre propre rapport aux lois, aux risques et à la mort. Si le dessin est légèrement inégal, il dégage tout de même une vraie personnalité, bien aidé par une colorimétrie, volontairement effacée, toujours pertinente. C'est puissant, bien raconté et bien mené, sans qu'on sache précisément où toute cette histoire va finir par nous amener. Hâte de lire le tome 2 !BDGest 2014 - Tous droits réservés