Madgermanes

1975. Après une longue lutte, le Mozambique obtient son indépendance et devient une République populaire dans la foulée. Si l’URSS est l’alliée de fait, de nombreux liens se forment également avec les autres pays frères, l’Allemagne de l’Est en particulier. En effet, entre cette date et la disparition du Rideau de fer, plus de vingt mille camarades venus du Sud vont émigrer en RDA. Sur le papier, il y est question d’entraide et de formation ; dans les faits, ceux-ci serviront surtout de main d’œuvre bon marché. De loin, ces hommes et ces femmes ne ressemblent qu’à une anecdote quasiment insignifiante de l’histoire du communisme. À y regarder de plus près, il s’agit d’une aventure incroyable, construite sur l’espérance d’une vie meilleure et vécue – vaincue – par la réalité.

Ayant elle-même passé une grande partie de sa jeunesse en Afrique de l’Est, Birgit Weyhe a immédiatement été touchée par l’expérience de ces jeunes mozambiquiens déracinés. Le changement de mentalité, de climat, de société, etc., comment ont-ils pu s’adapter au rude cadre d’un des pires régimes d’Europe ? Et ceux qui sont retournés dans leur contrée d’origine à la chute du Mur ? Plus vraiment Africains, mais pas Allemands pour autant, ont-ils réussi à trouver une identité ou un certain équilibre ? Toutes ces questions, la scénariste les a posées à Afanso, Atanasi, Emiliano et quelques autres, à ceux qui se nomment eux-même les « Madgermanes », les made in Germany.

À partir de ces entretiens, l’auteure a imaginé trois trajectoires, deux hommes et une femme. Des portraits très différents, mais reliés par des épreuves similaires. Infiniment touchants, quoiqu’un peu trop synthétiques par moments, José, Basilio et Anabella se racontent : la découverte d’un monde insoupçonné (la ponctualité, les règles, le froid, la neige !), les amis, le racisme contenu dans les années 80 et celui sans retenue une fois la Réunification actée, les joies, les peurs et cet insidieux sentiment de n’être qu’un éternel étranger. Rempli de références graphiques au Continent noir, l’album est prenant, passe des rires aux larmes d’une page à l’autre et ose justement plusieurs piques féministes et politiques aux lecteurs d’aujourd’hui.

Profondément honnête, Madgermanes n’est pas un réquisitoire ni un brûlot vidicatif, c’est avant tout un ouvrage soulignant la résilience de l’âme humaine. Un coup de projecteur sur une poignée d’individus emportés par les utopies d’une époque et écrasés par la vraie nature du monde.

Moyenne des chroniqueurs
7.0