Giant 1. Giant 1/2

G éant, un adjectif parfait pour cette ville en pleine croissance qu'est New-York, fourmillante et bruyante en ce début des années trente. Idéal aussi pour qualifier ces buildings qui poussent comme des champignons, émaillant de hautes carcasses en ferraille et de tours de briques le sol des différents quartiers. C'est enfin le surnom de cet irlandais à la carrure de boxeur, avare de mots mais pas de cœur. Comme nombre de ses compatriotes, il travaille sur les chantiers où les accidents sont monnaie courante, la vie ne tient souvent qu'à un geste. Lorsque vient son tour de s'occuper de l'annonce du décès d'un collègue, il décide d'épargner la famille en masquant la vérité. Il envoie de l'argent et entretient la correspondance avec Mary Ann, la veuve. D'abord laconique, il développe petit à petit des mensonges dorés qui animent les journées de la jeune femme, rendu difficile par la guerre civile et l'IRA qui se déchaine. Mais un jour, plus de lettres...

L'idée de départ de ce diptyque provient d'un cliché représentant une brochette d'ouvriers assis sur une poutre au-dessus du vide. Mikaël (Promise) s'en inspire pour créer une histoire riche en contrastes. D'abord Dan Shakelton, bavard comme une pie, dont la personnalité sémillante égaie Giant, son ami taciturne et secret. Puis les landes vertes et venteuses d'Irlande, où la nature règne en maître, opposées au métal gris de la cité et de sa foule bigarrée. Enfin, la verve chaleureuse de Mary Ann qui pallie à la brièveté dactylographique de son correspondant de substitution. Le point commun de tout, le ciel, immense. Non sans rappeler la série Blue note par l'ambiance de la Grande Dépression en toile de fond, ce premier épisode met en place le contexte riche de l'époque : la politique tendue avec la fin du mandat de Hoover, les conflits en Eire, les relations électriques entre les différentes nationalités (italienne notamment), le cinéma... Le train-train des artisans est bien dépeint, entre les cadences infernales, le danger permanent, les distractions dans les combats sportifs, les nouvelles du pays trop rares, les prostitués et l'ivresse de l'alcool. Le récit, habile, fait se dévoiler de façon progressive et subtile le héros pour qui le passé représente manifestement un fardeau, comme le trahit son mutisme indécrottable. La tension s'invite pas à pas pour s'imposer dans les dernières pages, provoquant le drame.

Également en charge du dessin, l'artiste illustre le quotidien à l'aide de gaufriers classiques aux cases sans paroles, en alternance avec des planches aux cases asymétriques. Le graphisme semi-réaliste est agréable et expressif. Le travail de recherche sur l'architecture transpire au travers des vues urbaines avec ses ruelles étroites, les bars et bien sûr les immeubles. Les couleurs sobres ont un rendu de photos aux tons passés, projetant le lecteur en cette période.

Chronique d'une tragédie annoncée dont la suite est prévue pour janvier 2018, Giant a tout d'un grand.

Moyenne des chroniqueurs
6.7