L'art du 9e art

L'essai de physiognomonie de Rodolphe Töpffer étant un peu daté, La BD, art séquentiel de Will Eisner trop américain, L’art invisible de Scott McCloud peu engageant et Plates-bandes simplement signé de Jean-Christophe Menu, Emmanuel Reuzé s’est senti obligé de proposer une œuvre ultime et définitive avec L’Art de 9e Art. Cent-vingt pages pour présenter, décrypter et démystifier les petits miquets. Tour-à-tour traité savant, manuel destiné aux artistes débutants et pavé dans la mare osant lever le voile sur certaines pratiques peu avouables, cette somme fera date.

Entre parodies et règlements de compte vachards et bon enfant, l’ouvrage joue évidemment la carte de la provocation. Tout y passe : une chronologie bien déconnante (la Tapisserie de Bagieu est marquante), des échanges pointus avec un « spécialiste » (le neveu de Scott McCloud, ce dernier étant sous contrat exclusif avec un éditeur concurrent), des analyses à tout va et des études de cas improbables dont un Pervers Pépère version darknet bien barré. Le scénariste tape dans tous les sens et à tous les étages avec une férocité jouissive (les chroniqueurs BD en prennent aussi pour leur grade, merci pour eux).

Le ton facétieux et les innombrables clins d’œil rappellent, toutes proportions gardées, la Rubrique-à-brac de Gotlib (notre Maître qui êtes aux cieux). En revanche, l'auteur a eu les yeux un peu plus gros que le ventre. En effet, après une entame ébouriffante et hilarante, le propos tourne rapidement en rond. Les indépendants façon Blain ou Blutch, la BD girly, la fantasy et Joann Sfar se transforment alors en têtes de turc systématique. Pire encore, Reuzé glisse même quelques images de ses propres albums comme illustrations. Dans un genre tout-à-fait comparable, Relom avait su trouver un dosage plus séduisant dans ses Fabuleuses aventures dans le monde de l’édition.

Drôle, souvent (im)pertinent, L’Art du 9e Art perd malheureusement de son impact au fil des pages. L’impressionnant travail graphique du dessinateur reste néanmoins à souligner, celui-ci réalise un véritable tour de force stylistique en modifiant totalement son trait à chaque sujet traité.

Moyenne des chroniqueurs
6.0