Harbinger

P eter Stanchek doit vivre depuis sa naissance avec des pouvoirs télépathiques qu’il ne maîtrise pas. Après plusieurs années en hôpital psychiatrique, il s’évade en compagnie de Joe et ne survit que grâce à de fortes doses de médicaments. Alors que la police est sur le point de l’arrêter, il est contacté mentalement par un inconnu qui lui permet de réveiller en lui une puissance insoupçonnée et d’échapper aux forces de l’ordre. Toyo Harada, son sauveur, le recueille et lui propose d’intégrer la fondation Harbinger qu’il dirige. Il y forme des psiotiques (êtres doués de pouvoirs psychiques) pour construire une société plus juste. Très vite, les méthodes du maître vont écœurer le jeune homme qui constitue alors sa propre équipe pour contrer les desseins de l’humain le plus puissant du monde.

Avec des personnages dotés d'aptitudes surnaturelles devant lutter pour trouver leur place dans un univers qui les rejette ou entend les utiliser, il est évident que Harbinger lorgne du côté des X-Men. De plus, certaines caractéristiques des Renégats, le groupe formé par les héros, peut faire penser aux Quatre Fantastiques. Toutefois, les similitudes s’arrêtent à cet aspect général. L’écriture est très éloignée des standards mainstream de Marvel, se révélant bien plus violente et nuancée. Cela tient essentiellement à la qualité de la caractérisation des personnages et de leurs relations. Si Peter et Harada bénéficient du plus large développement, les rôles secondaires ne sont pas en reste.

Ainsi, le scénariste n’oublie pas que Peter et son groupe sont des adolescents, qui plus est déjà marqués par la vie pour diverses raisons. Se retrouve dans leurs actions et leurs émotions tout ce qui fait la complexité de la jeunesse : une détermination sans faille lorsqu’il faut défendre ce que l’on croit juste et une propension à la colère devant l’injustice mais aussi une méfiance envers les adultes et une foi en son groupe d’amis. Leur vision du monde est chargée de certitudes sur le Bien et le Mal, que ne traduisent pas forcément leurs actes. Enfin, un rejet de la réalité et des responsabilités peut les pousser à se réfugier dans la virtualité ou à succomber à des pulsions auto-destructives.

L’autre point fort se situe au niveau du méchant de service, Toyo Harada, qui, finalement, n’en est pas un. Ses agissements sont souvent odieux, mais la découverte des drames de son passé le rend plus humain et ambigu. Somme toute, il n’est pas si différent de Peter qui l’a rejeté et s’oppose à lui. Leurs intentions ne sont pas si éloignées, leur divergence se faisant essentiellement sur les méthodes. Pas de place au manichéisme ici, tout se joue autour de l’éternelle question : la fin justifie-t-elle les moyens ?

La relation entre les deux adversaires centraux est l’un des points les plus intéressants de l’histoire. Elle évoque indubitablement celle entre un père et son fils, engagés dans un rapport houleux et incapables de faire des concessions pour chercher à renouer dialogue et compréhension mutuelle. Ce lien complexe, qui est au centre du récit, est très justement décrit comme le sont les liens au sein du groupe d’opposants. Ceux-ci, avec leurs dissemblances et leurs blessures, doivent découvrir la vie en communauté et faire l’apprentissage de leurs dons, entre griserie du pouvoir et devoirs qu’ils impliquent.

Le contexte dans lequel se déroule cette épopée est également particulièrement intéressant. L’auteur évoque tour à tour les financements secrets des sociétés d’armement, la volonté d’hégémonie des grandes multinationales et leur puissance face aux États, les expériences qui peuvent s’apparenter à des manipulations génétiques, les hackers et l’utilisation des réseaux sociaux ou encore la manipulation des masses et le conditionnement des enfants.

Vous l’aurez compris, avec autant de thèmes, d’actions et de personnages qui se croisent ou se succèdent, Harbinger est un récit particulièrement dense qui demandera un certain niveau d’attention à la lecture, d’autant plus que la narration n’est pas du tout linéaire. Pour mieux surprendre et entretenir l’intérêt, Joshu Dysart n’hésite à perdre momentanément le lecteur ou laisser des zones d’ombre qui sont ensuite explicitées par des retours sur les événements en utilisant le point de vue d’autres acteurs. Tout cela est particulièrement habile et offre de belles surprises.

Pour la partie graphique, il a été fait appel à une batterie de dessinateur et de coloristes, parmi lesquels Khari Evans, Barry Kitson, Clayton Henri, Rafa Sandoval, Phil Briones ou Mico Suayan. Chacun aura ses préférences pour l’un ou l’autre des artistes. Cependant, le tout reste cohérent et de bonne facture, et cette multiplicité d’intervenants ne nuit pas à la découverte de cet imposant pavé.

En effet, l’éditeur français Bliss Comics a décidé de réunir l’ensemble des numéros dans une intégrale de plus de neuf cents pages. L’édition est de bonne qualité – pas de problème, a priori, de reliure – avec la couverture originale en début de chaque épisodes et des bonus (variantes et crayonnés) en fin d’album.

Récit initiatique solidement ancré dans des thématiques fortes, Harbinger est bien plus qu’une aventure de super-héros. De plus, le final qui prépare à la sortie d’un autre titre, Imperium, exploite les conséquences de la lutte qui vient d’avoir lieu ! alléchant.

Moyenne des chroniqueurs
8.0