Jacques Damour

N ouvelle signée Émile Zola parue en 1880, Jacques Damour raconte la destinée d’un brave ouvrier-ciseleur qui, après avoir participé à la Commune de Paris, fût condamné à un long exil en Nouvelle Calédonie. À son retour en Métropole, il retrouva sa femme mariée à un autre et sa fille devenue une cocotte entretenue. Un destin dramatique, mais pas tragique que le romancier narre de sa plume naturaliste habituelle. Vincent et Gaël Henry se sont emparés de ce court texte et proposent une ambitieuse adaptation en images.

Plus que son protagoniste principal, c’est toute l’ambiance générale du début de la Troisième République que les auteurs d’Alexandre Jacob se sont efforcés de recréer. Pour rappel, celle-ci est le premier régime français à perdurer dans le temps depuis la Révolution de 1789. Globalement solide et stable, cette héritière du Second Empire et de la Guerre de 1870 a quand même connu de nombreux soubresauts avec la création et la consolidation des mouvements anarchistes et socialistes, de plusieurs luttes pour le droit des ouvriers et, évidemment, à cause des habituelles « affaires » politico-économiques dont seul l’Hexagone a la recette (Canal de Suez, Dreyfus, etc.).

Dans le même temps, et heureusement, l’ouvrage ne ressemble absolument pas à un manuel d’Histoire. Le découpage du scénario, qui retourne astucieusement le plan original de Zola, est rythmé, quoique parfois un peu alambiqué du fait de nombreux retours en arrière imbriqués, et toujours prenant à suivre. La petite galerie de personnages est intéressante et, merci Berru !, pleine de gouaille et d’énergie. L’ouverture vers d’autres pistes narratives (l’apparition à peine voilée de Louise Michel, par exemple) ajoute de la force et de la profondeur au propos. Seul bémol, sur la longueur, la minceur de l’intrigue de départ se fait un peu remarquer.

Aux pinceaux, Gaël Henry se pose toujours en fervent membre de « l’école » Christophe Blain. Suiveur, mais pas copieur, le dessinateur parvient néanmoins, peut-être encore timidement, à imposer sa personnalité dans son travail. Le résultat – atmosphère, atmosphère – se montre très agréable. Préférant, la suggestion à l’ultra-réalisme de certains, il dépeint les pavés de la Capitale, les rues poudrées de la lointaine Nouméa et la verdure reposante de Mantes avec beaucoup de charmes et même un certain aplomb. Les couleurs, parfois un peu ternes, de Lucie Firoud sont bien en place. Elles accompagnent parfaitement le trait, sans l’écraser ni l’estomper.

Plus une réinterprétation libre qu’une adaptation au sens strict du terme, Jacques Damour présente une vision pleine de charme, mais nullement idéalisée, du dernier quart du XIXe siècle. Précision et poésie, l'architecte des Rougon-Macquart aurait certainement apprécié l’effort.

Moyenne des chroniqueurs
6.0