Tokyo Ghost (Remender/Murphy) 2. Enfer digital

U n an après la destruction de l'oasis que représentait Tokyo, Flak continue de régner en maître sur L.A. et son rêve de paradis pour riches est à deux doigts de prendre forme. Harvey Trauma, tout comme l'agent Led, est à ses ordres. Le premier déroule les plans de son chef avec le zèle qu'on lui connait tandis que le second, complètement accro aux nanotech exécute les basses œuvres et écrase toute tentative de rébellion. Debbie le sait, si elle veut réparer ses erreurs il va falloir qu'elle revienne affronter son amour et détruire Harvey. En sera-t-elle capable ? N'était-il pas déjà trop tard ?

Rick Rememder, qui avait placé la barre très haut avec Eden atomique en mai dernier, se devait de proposer un dénouement de même niveau. Que les fans se rassurent, l'entreprise est réussie, enfin en (très grande) partie. Le prolifique scénariste maintient son cap et ne s'éparpille pas. La trame centrale - l'histoire d'amour entre Debbie et Dent - est menée à son terme tout en revenant sur les thèmes abordés au tome un : le rapport à la nature, la futilité des plaisirs immédiats, les dépendances pour asservir les masses, la part grandissante de la technologie dans nos vies, l'égocentrisme ou encore l'inégale répartition des richesses.

Malheureusement, l'insistance dont l'auteur fait preuve pour appuyer un message un peu simpliste - le progrès et l'individualisme mènera l'Humanité à sa perte - rend son propos un peu lourd. S'il l'habille de réflexion plus ou moins philosophiques pertinentes, il manque un soupçon de finesse pour qu'il soit pleinement efficace et convaincant. Comme en plus les protagonistes sont tous sérieusement dérangés (Flak est narcissique et dépravé, Harvey psychopathe mégalo, Dent bipolaire et accro et Debbie utopiste et victime un peu trop parfaite), l'empathie peut s'avérer difficile. Toutefois, le scénariste possède suffisamment de savoir-faire pour tenir en haleine et réserver quelques bonnes surprises sans se départir de son regard cynique sur la nature profonde des hommes. L'immersion et l'intérêt sont donc présents, tout au long de la centaine de planches, mais un petit sentiment d'inachevé, certainement lié à la brièveté de la série (dix chapitres en tout) demeure. Un petit complément n'aurait pas été de refus pour développer encore cette société et prendre le temps de faire évoluer de manière moins abrupte les personnages.

Véritable point fort du premier acte, le dessin de Sean G. Murphy est encore une fois époustouflant. L'auteur a visiblement adoré peindre cet univers, variant sans cesse les angles de vue et les cadrages il régale les lecteurs de scènes très bien construites. Cette fois, les jardins de Tokyo laissent la place à l'ultra urbanisme de Flak, son bateau et « sa » ville, mais c'est avec la même aisance que l'artiste invite à y plonger. Dynamisme, expressivité et mise en page sont à nouveau au rendez-vous pour un défilé d'action jusqu'à l'apothéose.
Le très bon travail aux couleurs de Matt Hollingsworth fait encore une fois merveille. Il incarne vraisemblablement, avec Jordie Bellaire (Injection, Rebels,) et Dave Stewart (Starve, Daytripper), ce qui se fait de mieux dans cette discipline et le prouve en mettant son art au service de la lisibilité. Il bonifie le trait et guide l'œil sans jamais masquer les détails. Un travail qui ajoute une vraie plus-value au plaisir de lecture comme à la narration.

Conclusion attendue Enfer Digital ne déçoit toutefois pas. Un titre graphiquement abouti qui offre une belle histoire d'amour dans un monde dépravé et condamné qu'il aurait été pourtant plaisant de voir encore prolongé de quelques pages tant l'originalité et les qualités sont indéniables.

Moyenne des chroniqueurs
7.5