Croquemitaines (Salvia/Djet) 1. Livre 1

E ntre cauchemar et réalité, Eliott Sullivan a longtemps eu du mal à faire la part des choses sur ce qui c'est passé ce soir-là. Quand il y repense, le cœur amer et lourd, il se souvient... son père l'avait sermonné, encore une fois, parce qu'il lisait après l'heure autorisée. Bon gré mal gré, le garçonnet s'est mis au lit mais quelques temps après, il entends des bruits inquiétants venant du rez-de-chaussée. Il descend alors tout doucement l'escalier et reste sans voix à la vue du corps de ses parents baignant dans une mare de sang. Epouvanté car le meurtrier est toujours dans la pièce, Eliott se réfugie sous son lit. Alors qu’il croit ses derniers instants arrivés, un nouveau personnage accompagné d'un chien étrange s'interpose. Dans quel autre monde a t-il basculé ? Qui sont ces individus effrayants aux allures de croquemitaines ?

Mathieu Salvia (Sept 7 héros) s'empare d'un mythe des terreurs enfantines et crée un univers à la hauteur de sa réputation : angoissant. Les monstres ont une dégaine et des surnoms plutôt originaux. Même si certains font penser à des êtres connus (Capitaine Crochet, la petite vieille de Miyasaki par exemple), chacun conserve sa personnalité propre. Les "petites sœurs", minuscules suceurs de peurs, sont une jolie trouvaille. Le scénariste laisse cependant planer une aura de mystère dans les rapports conflictuels et le passé commun des différents clans, instaurant un suspense constant pour cette intrigue sombre et haletante. L'enfant est un peu en retrait dans les premiers chapitres, laissant plus de latitude aux créatures fantastiques. Néanmoins, le petit héros semble représenter l'enjeu principal de cette lutte intestine. Dans ce contexte dur et morbide, le trio en fuite (Eliott, le Père-la-mort et son chien) provoque rapidement l'empathie.

Djet (L'île de Puki) illustre le scénario de Salvia en apportant un réel folklore. Si l'ambiance générale est ténébreuse (gris, bleu, vert) pour respecter le ton, le rendu est très lisible. Les touches de rouge utilisées par contraste entretiennent le climat de menace explosive. Le découpage dynamique est audacieux dans l'agencement des cases et la mise en scène nerveuse assure une lecture fluide et alerte.

Avec un marché saturé de zombies, vampires et autres frayeurs d'adultes, le duo d'auteurs a eu la bonne idée d'exploiter, à sa manière, une légende obscure de l'enfance. Ce mariage entre le monde moderne et celui des ogres est réussi. Les bases sont posées, les protagonistes présentés, il ne faudra pas attendre longtemps pour connaitre le dénouement de ce conte horrifique. (17 mai prochain)

Moyenne des chroniqueurs
6.0