Les cent nuits de Héro Les Cent Nuits de Héro

C ela commence par l'histoire du dieu Homme-Aigle et de ses enfants, Gamine et Gamin. Puis, cela devient l'histoire d'un pari stupide entre Manfred et Jérôme. C'est également l'histoire d'une ligue secrète, de maris et de femmes, de la cité de Midgal Bavel, de sœurs mais aussi de lectures, de transmission, de contes, d'amour, d'amitiés, de danse, de musique, de lune, d'étoiles. Mais c'est surtout l'histoire de deux femmes courageuses, Cherry et Héro, qui « ne sont pas laissées emmerder » et qui allaient changer le monde.

Isabel Greenberg, née en 1988, publie là son deuxième titre en tant qu'« auteur complet ». Pourtant, la maturité de son travail porte à croire qu'elle a bien plus de bouteille et laisse admiratif. À nouveau dans un registre fantastique, elle innove en s'appropriant et réinterprétant les Mille et une nuits ; Héro, la servante, devient sa Schéhérazade tandis que le but n'est plus de survivre mais d'aider sa maîtresse, Cherry, à rester fidèle et chaste chaque nuit tout en empêchant Manfred d'accomplir son dessein.

Le principe des contes envoûtants qui tiennent en haleine est repris et, ici, se nappe d'un propos féministe. Après une introduction où les connaisseurs de sa précédente œuvre retrouveront, entre autres, la divinité Homme-Aigle, elle installe un monde mystérieux dominés par les hommes où contes et légendes occupent une place prépondérante. Au cœur de ce royaume, dont l'ambiance est à mi-chemin entre nation nordique et pays oriental, les femmes et leur condition servent alors de prétexte à aborder l'accès à l'instruction, à la culture, l'importance de la transmission - orale comme écrite - aussi bien que l'amour et la solidarité ou encore l'importance des rêves. Si elle reconnaît s'inspirer d'Angela Carter et son travail sur La compagnie des Loups, elle ne se limite pas à briser le schéma patriarcal allant également jusqu'à casser les stéréotypes des contes et leur fin moralisatrice. En plus de ce propos qui bouscule les a priori, elle varie sa narration : des textes hors cases, des récits imbriqués (procédé qu'elle affectionne) etc. L'autrice britannique fait preuve d'inventivité et ne s'interdit rien. D'ailleurs, elle n'hésite pas à casser le quatrième mur avec un style direct et moderne qui crée une véritable complicité avec le lecteur. Enfin, la variété de psychologie des personnages - et pas seulement féminins - ajoute encore de la densité et à l'intérêt de chaque mini-fable.

Graphiquement, cet album s'inscrit dans la continuité de L'encyclopédie.... Le trait et certains personnages tout autant que la mise en page, le découpage et la mise en couleurs porte la marque de la jeune artiste et affirment un peu plus son style. Toutefois, elle délaisse cette fois l'informatique pour un dessin à l'encre du plus bel effet qui apporte à la fois de la force et de la nuance. La colorisation, essentiellement en aplats, lui permet de jouer avec la lumière et le contraste des séquences.

Les cents nuits de Héro est un album intelligent, poétique, drôle, fin et décalé qui révèle (ou confirme) une chose : Isabel Greenberg a du talent, des choses à raconter, des messages à faire passer et elle sait visiblement très bien le faire. Plus qu'à souhaiter que le prochain titre arrive vite !


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