Salud!

P aris, 1974. C’est décidé, Antoine largue son boulot pour aller tenter sa chance en Espagne. Il faut dire que sa femme vient de là-bas : avoir le soutien de sa famille devrait grandement faciliter ses projets. De fait, très rapidement, il atteint son but : ouvrir un restaurant français. L’établissement devient à la mode et l’argent commence à rentrer. Une belle voiture, d’autres investissements à venir, il y a de quoi célébrer et payer de nombreuses tournées aux amis. Sa route semble être toute tracée maintenant. Allez, encore un petit verre ou deux ou trois ou mille ! L’existence est trop courte, il faut en profiter. Salud!

Spécialiste des destins froissés (Le signe, Rimbaud), Philippe Thirault raconte Antoine, un bon gars qui n’a pas réussi à faire confiance à sa bonne étoile. Bon, il n’est pas tout blanc le Tonio, particulièrement à cause de son penchant pour la dive bouteille. À sa décharge, il n’a pas été beaucoup aidé par cette Espagne aux mœurs sclérosées après plus de trente ans de dictature. Double portrait – d’un homme et d’un pays -, Salud! se lit comme ces romans classiques qui ambitionnent de tracer une peinture d’une époque à travers des personnages en prises avec eux-mêmes. Observations psychologiques très fines, découvertes de la dureté (et de la bonté aussi) des hommes, l’ouvrage reprend la trajectoire habituelle de celui qui a voulu s’approcher trop près du soleil. Plus dure sera la chute. Le scénario est impeccablement dosé et chaque épisode tombe immanquablement à sa place, peut-être un peu trop facilement. En effet, au final, cet agencement se révèle tellement parfait qu’il ne réserve aucune surprise ou rebondissement. Certes, la lecture est aisée, certaines situations intéressantes, mais, telle une fable dont on devine la fin trop à l'avance, un peu décevante une fois l’ouvrage refermé.

Heureusement, l’approche graphique très typée de Nadar donne un peu de peps à l’album. Son trait, qui rappelle agréablement le swing de Serge Clerc et le néo-classicisme d’Antonio Lapone, permet d’apporter une réelle tenue à cette pseudo-biographie. En outre, tant le découpage souvent audacieux que la savante mise en couleurs finissent de conférer une identité propre à la narration. Le dessinateur de Papier froissé arrive à transformer ce quotidien terre-à-terre en une odyssée humaine riche de fracas visuels on ne peut plus parlants.

Portée par l’excellent travail de Nadar, Salud! offre une plongée sans concession sur une âme à la dérive, ainsi qu’un rare aperçu des difficiles conditions de vie au moment où l’Espagne allait renouer avec la démocratie.

Moyenne des chroniqueurs
6.0