Les apprentissages de Colette

C e 15 mai 1893 aurait du être le plus beau jour de la vie de Sidonie-Gabrielle Colette : son union avec Henri Gauthier-Villars, dit Willy. Malheureusement, pour la belle amoureuse, ce Don Juan invétéré ne voit là qu'un moyen d'exposer une jolie chose à son bras et ne compte nullement changer ses mœurs volages. Critique et romancier relativement aisé, il l'introduit dans le Paris mondain et bohème. Proche de la nature et de la campagne, elle reste d'abord en retrait. Devant cette timidité manifeste, Willy l'encourage à coucher sur le papier ses souvenirs d'enfance. De ses anecdotes personnelles naît le premier Claudine en 1900, écrit par Colette mais paru sous le nom de son pygmalion. Le succès immédiat entraîne la jeune fille dans une vie tumultueuse, riche, scandaleuse à l'envi et surtout, empreinte de liberté, si chère à son cœur.

Annie Goetzinger, dessinatrice prolifique (La jeune fille en Dior, Agence Hardy,Marie Antoinette - la Reine fantôme, Portraits souvenirs), s'attaque ici à tout un pan du fabuleux destin de Colette. De son mariage à la publication -sous son propre nom- de son premier roman (Le blé en herbe), ces quelques trente ans dévoilent une étonnante personnalité, forte et contrastée. C'est donc un portrait et un tableau qui sont offerts dans cette biographie romancée : l'évolution pendant les Années Folles de cette ingénue venue de la campagne, à la Féminine émancipée, en son âme et conscience. Le récit se déroule de façon chronologique, avec des scènes de vie entrecoupées de courts textes introductifs, des citations de romans et de lettres. Le rythme fluide emmène le lecteur dans les décors de Paris, de Saint-Malo ou d'Italie, aux bras d'une auteure en devenir. Avec cohérence et une grande ouverture d'esprit, se dessine, autour de faits concrets, le cheminement d'une touche à tout, tour à tour écrivain, mime, reporter et journaliste, mais aussi libertine, libertaire, affranchie. Les dialogues sont dans le ton de ses livres, raffiné, mettant si bien la langue française en valeur.

Le trait fin et léger apporte une élégance de bon aloi et, si les visages sont un peu figés dans leurs expressions, cela ne fait que renforcer un petit côté Art Déco. De même, les couleurs douces et surannées créent un effet patiné, restaurant l'ambiance de ces années passées, mais pas si lointaines finalement.

Pierre Mac Orlan la disait : "la femme la plus libre du monde". C'est ce que démontre l'exposé d'une destinée d'avant-garde qui a su oser s'exprimer, aimer, vivre, tout simplement, selon ses envies et en faisant fi des convenances qui trop souvent étouffent les talents et les caractères.

Moyenne des chroniqueurs
7.0