Jockey

Q uelle animation dans les gradins du Jockey Club de São Paulo ! Avec le départ imminent de la course, les yeux de la foule sont braqués sur le terrain. Seule Moïra a le regard dirigé dans une autre direction, celle de son amant Alvaro. Celui-ci espère beaucoup de cette compétition car son ami, Mosca, concoure pour le prix de la Triple couronne. Bien sûr, il n'est pas le seul à vouloir gagner. Son adversaire principal, Teodoro, tente sans aucun scrupule de le convaincre de perdre, grâce à quelques liasses de billets. Mais les deux hommes n'ont le même sens du mot victoire et la bataille risque fort de se terminer en dehors de la piste. Pendant ce temps, Matias croupi dans sa cellule et attend le moment propice pour prendre sa revanche sur ceux qui l'ont anéanti. Tous ces êtres se croisent et s'affrontent sous l’œil divin de Cariocecius.

Sur le thème du vice et de la vertu qui s'opposent, le scénariste brésilien Rafael Calça tisse une intrigue dramatique et sombre où plusieurs personnages se heurtent les uns aux autres. Il faut accepter de se laisser guider, voir, de flotter l'espace de plusieurs planches, pour mieux comprendre les liens qui les unissent. Les révélations se dévoilent au fur et à mesure de la lecture, tout en laissant une part de liberté d'interprétation lors du final. Ceci est dû principalement à l'introduction d'une dimension fantastique, une touche mystique originale qui, à l'instar de L'odeur des garçons affamés ne nécessitera pas forcément de justification. Dans ce récit, corruption, fanatisme et crimes en tous genres se mêlent à la passion, l'amour paternel et la loyauté. La variété des protagonistes et les transitions parfois abruptes pourront désarçonner le lecteur qui devra rester attentif pour ne pas perdre le fil. L'empathie reste en surface, faute de héros qui se détacherait des autres. Cela induit une impression de "trop peu", d'autant qu'un enrichissement plus poussé de cet univers aurait été tout à fait possible pour apprécier à sa juste valeur cette surprenante histoire.

Pour la partie graphique, André Aguiar entretient l'ambiance inquiétante grâce à son style dans la veine de Christophe Gaultier ou Christophe Blain : nerveux, spontané, avec cependant des contours moins structurés et surtout un travail poussé sur les trames en hachures. Le résultat apporte du relief et, ça et là, charge parfois les aplats de couleurs douces et sobres. Le découpage est classique, la vivacité étant apportée par les angles de vue variés et audacieux. À noter enfin les séquences muettes nombreuses, celle-ci permettent à la réflexion de faire son chemin, à son rythme car les détails sont peu abondants, mais chaque élément a son importance.

Un mélange des genres risqué qui fonctionne certes, notamment grâce au graphisme typé, mais laisse tout de même un sentiment de déception à cause du manque de profondeur du fond pourtant riche et de développement des acteurs de cette tragédie noire, teintée de surnaturel.

Moyenne des chroniqueurs
5.5