Mort & vif

P laqué et fraîchement licencié, Philippe Moline a toutes les raisons d’avoir un coup de blues. Plutôt que de rester dans sa boîte, il décide de changer d'air. Las et sans but précis, il tombe sur Trashy, un musicien improbable en chemin vers un concert supposé. De son côté, son ancien patron a les idées plus claires. Il vient de liquider son entreprise en cachette et est sur le point de filer avec des mallettes pleines de liquide. Les gars du syndicat ne sont évidemment pas du même avis et bien décidés à lui demander des comptes. La nuit va être longue sur les routes sinueuses de l’Ardèche.

Fable morale, road movie halluciné et brûlot revendicateur, Jef Hautot et David Prudhomme ont préféré ne pas choisir et de brouiller les pistes dans Mort & Vif. Si les ingrédients sont classiques, leur enchevêtrement se montre détonant. En effet, il fallait oser mélanger le réalisme social trouvé habituellement chez Étienne Davodeau à la folie d’un Martin Scorsese période After Hours, le tout assaisonné d’absurde façon Bertrand Blier. Même si toutes les parties du récit ne sont pas du même niveau (l’affrontement employés – directeur reste un peu convenu, par exemple), le scénario se montre souvent brillant et doté d’un humour recherché et percutant. Résultat, le lecteur rit beaucoup tout en se posant deux-trois questions existentielles au passage.

Si l’histoire vous semble un peu étrange, attendez de voir les dessins ! L’auteur de Rébétiko s’est pris au jeu (ou a abusé des mélanges) et offre un traitement graphique impressionnant de créativité et de malice. Mise en page globale, déconstruction constante des planches, triturage des perspectives, le dessinateur se fait un plaisir de décontenancer son public pour mieux le surprendre. Certes, la lecture peut paraître ardue par moments, la colorisation volontairement un peu sombre n’aidant pas. En revanche, une fois entré dans le bal, c’est un véritable bonheur que de découvrir toutes les astuces et les clins d’œil qui jalonnent l’album.

Finement pensé – l’argumentaire économique ne s’arrête pas au simple affrontement PDG vs ouvriers – et réalisé avec une maestria et une inventivité de tous les instants, Mort & Vif s’avère captivant à plus d’un titre.

Moyenne des chroniqueurs
7.0