Ma guerre De La Rochelle à Dachau

E n ce 8 mai 2015 à La Roche-Sur-Yon, une petite pluie fine tombe sur la Place du Monument aux Morts. Pourtant, les gouttes ne semblent pas atteindre Guy-Pierre Gauthier, 91 ans. Cet ancien combattant s’apprête à recevoir la Légion d'honneur, tout comme ses camarades toujours présents. Une récompense pour quoi au fait ? Soixante-dix ans sont passés, mais les souvenirs sont toujours aussi vifs, toujours aussi cuisants. Il se rappelle l'engagement dans la Résistance, si jeune à l'époque ! Il se remémore tous les risques pris, les dangers et les actions qui l'ont amené là, aujourd'hui. Et les copains aussi... Enfin, ceux qui, comme lui, s'en sont sortis. Il ont survécu à la torture, à la faim, au froid et aux humiliations subies dans les camps. Maintenant, il est prêt. Il peut enfin se libérer de son histoire, la transmettre pour qu'on n'oublie pas, et surtout qu'on ne -les- oublie pas.

Tiburge Oger (Gorn, Buffalo Runner, La Forêt...) raconte le parcours de son grand-père maternel, dans un projet devenu livre qui a nécessité trente ans de gestation. Il emprunte la voix, les mots de cet homme pudique et partage avec le lecteur un récit dur, criant d'authenticité. Le contraste entre la précision des dates, la description quasi clinique du quotidien évoqué avec simplicité, et la brutalité des événements, ne donne que plus d'impact à la prise de conscience des épreuves subies. Cette plongée dans le passé est à la fois individuelle, du fait de l'émotion qu'elle inspire à chacun, mais aussi collective, grâce à la profonde humanité qui se dégage de la lecture. L’intelligence de l'auteur consiste à, plutôt que de faire ressortir la violence de l'ennemi, mettre en avant les qualités humaines : le courage, la dignité et surtout la solidarité qui unissaient les prisonniers de tous bords. Pas de pathos ni de mélodrames inconvenants, mais du réalisme pur.

Avec son style bien à lui, si particulier dans le trait un peu tremblotant et les silhouettes sinueuses, Tiburce Oger s'est adapté naturellement au contexte. Riches et travaillés, les décors sont réalistes et les cadrages plongeants offrent ces perspectives improbables qui peuvent désarçonner de prime abord. Les couleurs douces et lumineuses contribuent de façon indéniable au climat à la fois nostalgique et mélancolique, pourtant si lourd.

Voici donc une bataille qui se joue sur un autre front, au cœur de l'emprisonnement et au plus profond de l'Être. Viscérale et délicate, c'est une lutte des idées et surtout, un combat pour la vie. À l'instar de Maus d'Art Spiegelman ou de Moi, René Tardi, prisonnier de guerre, stalag II B, Ma guerre est un modèle de témoignage, essentiel à la compréhension de la Seconde guerre mondiale et de ses traumatismes.

Moyenne des chroniqueurs
7.8