Les contes de la Pieuvre 1. La Malédiction de Gustave Babel

E x-tueur à gages, Gustave Babel vient d’être retrouvé par son ancien employeur, une organisation mafieuse que l’on ne quitte pas impunément. Mortellement touché, il laisse son esprit vagabonder dans ses souvenirs les plus précieux, issus d’une époque particulière de son existence qui l’a vu se mettre à rêver, ce qui ne lui arrivait jamais, et renaître.

Gess (La brigade chimérique, L’œil de la nuit, Carmen Mc Callum) revient seul aux manettes pour une œuvre singulière et enthousiasmante. Faisant preuve d'une réelle d’ambition, il construit un récit toujours sur le fil du rasoir entre deux sensations. Il y a d’abord le contexte oscillant entre réalité – via les références d’un Paris du début de vingtième siècle - et onirisme – par l’intermédiaire des songes de Gustave. Ensuite, il y a ce personnage principal, un exécuteur, difficile à appréhender tant il est austère et froid, mais qui se révèle intrigant, profond et émouvant. Enfin, la dureté de l’histoire se nimbe d’une certaine ironie et d’une poésie, tant à travers les citations de Les Fleurs du mal de Charles Baudelaire que par le ressenti d’ensemble.

La prise de risques se fait également au niveau de la construction de l’histoire. Après une accroche assez classique autour d’un homme rattrapé par son passé tandis que sa vie l’abandonne, Gess invite le lecteur à lui faire confiance. Il ne lui fournit aucun indice sur la destination et l’embarque pour une promenade déroutante. Cependant, il est suffisamment habile pour éveiller l’intérêt. Progressivement, ne cherchant jamais à bousculer, il apporte les réponses et donne sens à tout ce qui a pu questionner. Surtout, il suscite les émotions au fur et à mesure que son héros, dénué d’affect, s’éveille au monde et aux autres.

Pour donner vie à tout cela et ne pas gâcher les intentions, une partie dessinée forte est nécessaire. Là aussi, l’auteur ne s'abandonne pas à la facilité. Le graphisme n’est pas passe-partout. Il faut s’arrêter et lui laisser le temps de vous parler pour profiter de tout le travail sur les ambiances. Le trait est relativement épuré, mais toujours expressif, possédant une grâce certaine et pouvant même se faire fragile. Il est rehaussé par la méticulosité des camaïeux aux tonalités ternes. La mise en scène sans effet de manches, exploitant habilement le format d’édition et les cases aux contours irréguliers, sont autant d’éléments démontrant le soin apporté afin que chaque composant contribue au propos.

Dans une parfaite harmonie entre le fond et la forme, La malédiction de Gustave Babel constitue une œuvre rare et riche, bénéficiant qui plus est d’une édition de qualité.

Moyenne des chroniqueurs
8.4