La cantine de minuit 1. Volume 1

D ans un quartier de Tokyo, un petit restaurant est ouvert de minuit à sept heures. Sa carte ne propose rien d'extraordinaire mais le patron s'engage à préparer tout ce que vous commanderez à condition qu'il ait les ingrédients. Un lieu convivial, qui a sa petite clientèle, ses habitués ou ses occasionnels, et même ses touristes.

Graphiquement à l'opposé des mangas qui peuplent les rayonnages des librairies, La cantine de minuit dénote dans la production japonaise et plus largement asiatique. Si Yabô Abe avoue être influencé par Yoshiharu Tsuge (L'homme sans talent), son trait peut également évoquer Shigeru Mizuki : simple, épuré et efficace. Les décors, essentiellement le restaurant, sont sobres et n'offrent que peu de détails tandis que ses personnages approchent clairement de la caricature mais rien de gênant une fois la lecture entamée, bien au contraire.

Trente jours et autant de chapitres composent le menu de ce recueil : à chaque nouvelle nuit, de nouveaux clients et avec eux de nouvelles commandes, mais surtout des nouvelles histoires. Au fil des plats - partagés ou pas -, des discussions - animées ou pas - s'engagent, des relations se nouent et quelques fois même, des destins se jouent. Rassurez-vous, rien de violent ou de scabreux, plutôt de la tendresse, de la mélancolie parfois, de la joie souvent et surtout des rires, qu'ils soient gênés ou francs. Au gré des segments, portant chacun le nom d'un met, le mangaka brosse le portrait de quidam attachants qui viennent dans cet endroit familier se relaxer après une journée voire une soirée de boulot. L'atmosphère nocturne particulière invite à la confession : de la strip-teaseuse au conteur en passant par l'ex-flic ou le serveur, tous viennent à « la cantine de minuit » livrer un peu de leurs vies, leurs inquiétudes ou leurs bonheurs et écouter en dégustant un plat typique. Car c'est aussi le pari de l'auteur, par-delà ces tranches de vie, il invite à l'évasion, au partage, à la discussion tout présentant sommairement la cuisine et un peu de la vie locales. Habilement, il évite les redites et se renouvelle constamment, le lecteur voit alors réapparaître les habitués ou de nouveaux clients qui, tous, apportent à la dynamique de l'ensemble. Le résultat est sans appel, fin, intelligent, dépaysant mais aussi profondément humain. Les protagonistes deviennent des familiers et le patron un complice, qu'il tarde de retrouver.

Original dans sa forme et son ton, La cantine de minuit s'ouvre sur un tome séduisant. Toujours en cours de publication au Japon depuis 2006 (en plus d'une adaptation en série TV), la série compte dix-huit opus que le Lézard Noir se propose de publier deux par deux (environ 300 pages) à prix contenu. Alors vivement la suite, pour se régaler encore des plats autant que de courts récits.

Moyenne des chroniqueurs
8.0