Tu sais ce qu'on raconte...

L e môme Gabory est de retour. Dans tout le village, on ne parle que de cela ; de la coiffeuse à la dame âgée en passant par des types qui refont la toiture d’une maison ou encore des cyclistes en randonnée. Le garçon est parti quelques années plus tôt dans des circonstances troubles, peu après un accident de voiture dans lequel sa compagne est décédée. Chacun a sa petite hypothèse, mais personne ne connaît le fond de l’histoire et tout le monde se contredit.

Dans Tu sais ce qu’on raconte…, il y a autant de témoins que d’habitants. Ce sont donc plusieurs dizaines de personnes qui se succèdent pour dépeindre un fait divers dont le protagoniste demeurera absent. Les perceptions et les points de vue s’opposant, le lecteur pourrait craindre que l’ensemble soit complexe et décousu, mais Gilles Rochier maîtrise son «récit-concept» et s’assure de ne jamais larguer le bédéphile. D’un observateur à l’autre la narration est continue et le fil conducteur solide. Certes, elle s’engage parfois dans une impasse, mais après avoir rebroussé chemin elle reprend son cours naturel et le récit poursuit sa progression, même si demeurent de nombreux points d’ombre.

Aux pinceaux, Daniel Casanave propose un trait simple, efficace et élégant, mis au service d’une galerie de personnages aux mines disparates qui sont autant de témoins des événements. Les cadrages, fréquemment similaires, donnent à l’ensemble l’allure d’un reportage. Dans cet album de petite dimension se succèdent les grosses cases; leur taille est rarement inférieure à une demi-page et elles occupent souvent une planche complète, voire une double. La décision d’accorder plus ou moins d’espace à un interlocuteur semble aléatoire, à moins que l’objectif soit simplement de modifier le rythme de lecture, notamment vers la fin du livre alors que les dessins de grand format se multiplient pour accélérer le récit et conduire à la chute. Aux couleurs, Wandrille et Maud Bachotet optent pour la bichromie. L’ajout de rouge, la plupart du temps discret, n’interfère pas avec le trait de l’artiste.

Une anecdote minimaliste, mise en valeur par un texte bien construit et bien mis en images. Bref, une belle réussite.

Moyenne des chroniqueurs
8.0