La bande dessinée au tournant

E n 2006, Thierry Groensteen publiait Objet culturel non identifié, ouvrage dans lequel il dressait un état des lieux de la bande dessinée et de son rôle dans la société. Le livre se finissait sur le constat que la BD avait « connu une certaine promotion dans l’ordre des valeurs culturelles, mais que sa place restait fragile, ambiguë et contrastée ». Dix ans après, et juste à la sortie des États généraux de la bande dessinée (réflexion débutée en 2015 proposant de faire un bilan et une analyse la plus exhaustive possible de la situation), l’auteur met à jour ses pensées dans La bande dessinée au tournant.

Mêlant analyses chiffrées (peu au final, les comptables sont toujours frileux quand il faut parler des ventes réelles) et considérations personnelles finement étayées, l’essai s’organise autour de deux axes : l’édition ou fabrication et la réception, y compris la valorisation culturelle. En premier lieu, Groensteen décrit précisément l’évolution de la branche : surproduction et baisse des tirages, multiplication des éditeurs, paupérisation des artistes, trouvailles marketing, dynamique éditoriale, etc.. Le lecteur reconnaîtra certainement l’origine et la nature, parfois difficilement avouable, de ses lectures préférées. Même s’il existe encore de nombreuses structures éditoriales ambitieuses aux catalogues pointus, il s’agit de business et tout est bon pour vendre du papier.

La seconde partie, celle qui s’intéresse à l’acceptation sociale des petits miquets, s’avère plus optimiste, même si les progrès sont lents. En effet, sur le fond, la volonté politique reste modeste, les instances se consacrant plus à réorganiser les programmes existants qu’à les pérenniser. Par contre, le Neuvième Art a assurément trouvé sa place dans les universités et diverses formations techniques existent. De plus, différentes initiatives, telles des expositions de prestige (Hergé, Gotlib, etc.) ou des coéditions avec les Musées de France rencontrent un succès certain. Au niveau du grand-public, la «bédé» est bien présente et fait désormais pleinement partie du paysage culturel.

Très technique par moments, La bande dessinée au tournant offre néanmoins un très bon résumé des forces en présence, sans omettre les côtés moins reluisants du monde de l’édition ou de la vie de créateur. Les bédéphiles curieux de l’envers du décor de leur passe-temps favori y trouveront une mine d’informations pertinentes ainsi que des pistes de réflexions souvent originales.

Moyenne des chroniqueurs
6.0