Monstress 1. L'Éveil

M arika, une Arcanique, va être vendue comme esclave. Elle est alors revendiquée par un membre des Cumaea, un ordre de religieuses autonome et préséant par rapport au pouvoir civil. Il n’est pas sûr que cela soit une chance, car les nonnes sont réputées pour réaliser des expériences sur leurs captives. La jeune femme n’en a cure. Elle a l’intention de s’évader et de retrouver une des Cumaea afin d’obtenir des informations sur le meurtre de sa mère, et sur son passé dont elle n’a aucun souvenir. Dans un monde encore marqué par la guerre entre Humains et Arcaniques, elle est loin de se douter qu’elle va se trouver au centre d’une lutte ancestrale.

Monstress est une série qui s’est faite remarquer outre-Atlantique. Marjorie Liu y développe une fantasy inspirée de la culture japonaise se révélant très vite fascinante. Cela tient tout d’abord à son aspect atypique.

Oubliez les rejetons « tolkieniens » ! Si les Humains sont bien présents (essentiellement à travers les Cumaea pour le moment), place aux Chats, aux Anciens et aux Arcaniques. Les premiers sont effectivement des félins, mais doués de raison et de parole. Peu nombreux, magiciens et immortels, les deuxièmes, bien que bipèdes, s’incarnent sous une forme animale. Les derniers sont des sangs mêlés, issus de rapports entre Anciens et Humains. Ce qui est intéressant dans cette contextualisation, outre sa variété, c'est qu'elle évite l’aspect monolithique et manichéen des forces en présence, sauf peut-être pour les religieuses. Dans le camp des créatures, l’unité n’est pas de mise et des individus complotent derrière la façade des positions officielles. Ne négligeons pas non plus la sourde menace des Dieux Antiques, considérés par beaucoup comme une légende. Et, bien sûr, il y a la frêle Maika, traversée de pulsions d'une puissance dévastatrice, dont personne ne sait si elle représente une opportunité ou un risque.

La qualité de la narration - en dépit de quelques maladresses au niveau du découpage rendant certaines transitions un peu abruptes - est à souligner. Le côté non linéaire, liés aux changements de lieux ou de temps, est bien géré. L’autrice joue habilement entre le développement de son monde aux multiples facettes et celui de son héroïne. Dans le premier cas, elle dévoile progressivement les différents enjeux et protagonistes. Ces derniers sont bien définis et, plaisants ou repoussants, disposent d'une vraie personnalité, loin de la fonction de faire-valoir trop souvent dévolue aux seconds rôles. Dans le second cas, elle fait de Maika un personnage féminin fort et intrigant. Elle incarne la séduction liée à sa jeunesse et son physique, la fragilité teintée de doute au sujet de ce qu’elle est et de la place qu’elle peut revendiquer, mais aussi le danger et la noirceur découlant de la force qui la possède peu à peu et lui fait commettre des massacres. Ce portrait se construit en maintenant un rythme soutenu et sans jamais entretenir artificiellement le mystère. Le lecteur a droit à un lot de premières révélations qui ne font qu’aiguiser l’envie de poursuivre l’aventure et de découvrir la richesse de cette histoire.

Le plaisir se retrouve dans les planches de Sana Takeda. La dessinatrice parvient à donner une véritable identité à ce monde. La caractérisation des différentes créatures, qu’elles soient « mignonnes » ou effrayantes, est un régal. Le soin apporté aux décors, avec une touche Art déco, et aux costumes est tout aussi remarquable. Grâce à une mise en scène limpide, ce foisonnement ne se fait pas au détriment de l’aisance de lecture. Fluidité et enchantement visuel sont au rendez-vous.

Cette entrée en matière est un coup de maître. Elle apporte un souffle de fraîcheur à un genre parfois sclérosé, plombé par le poids des références et l'héritage de ses œuvres fondatrices.

Moyenne des chroniqueurs
7.5